En septembre 2024, la brasserie-distillerie de Vauclair, réputée pour ses bières de qualité « La Choue », a embouteillé son tout premier whisky, baptisé « Le Cahou ». Derrière cette anagramme de « La Choue » se cache un superbe single malt dont les racines remontent à près d’un demi millénaire !
L’ordre du Val des Choues
Située à Giey-sur-Aujon, en Haute-Marne, la brasserie-distillerie s’installe précisément là où, en 1219, Simon Ier de Châteauvillain fondait le prieuré de Vauclair, rattaché à l’ordre du Val des Choues. Cet ordre, affilié aux Cisterciens, établit 21 abbayes, dont la plupart ont disparu aujourd’hui. Parmi elles figurent celle de Vauclair ainsi que trois abbayes en Écosse (dans le duché d’Argyll, près d’Inverness, et dans le comté d’Elgin). Faut-il y voir un présage ?
Au-delà de cette anecdote amusante, le lien avec l’histoire des moines de l’ordre du Val des Choues se manifeste de façon très concrète dans les productions de la brasserie-distillerie. En 1550, les frères de Vauclair découvrent une source d’eau exceptionnelle à proximité du prieuré. C’est cette même eau qui, plusieurs siècles plus tard, alimente la brasserie et la distillerie, conférant à leurs bières et whiskies leur caractère unique et leur nom.
La Brasserie de Vauclair
En février 2000, Martin Quillard inaugure la brasserie de Vauclair, à une époque où les microbrasseries étaient encore rares en France.
Deux ans plus tard, le jeune Anthony Nury entre pour la première fois dans la brasserie en tant que saisonnier à qui on confiait aussi divers travaux de maçonnerie, d’entretien et de peinture. « Je découvrais l’univers de la bière, que je trouvais passionnant ! », raconte-t-il. Trois ans plus tard, Anthony rejoint l’équipe comme brasseur. En 2007, lorsque Martin Quillard décide d’arrêter son aventure, Anthony s’associe avec son unique collègue pour reprendre seul la direction de la brasserie en 2013 : «J’ai toujours su que je serais entrepreneur !»
Sous son impulsion, la brasserie connaît une croissance remarquable. En 2018, face à une demande croissante, l’équipe s’agrandit et un projet d’extension voit le jour. Ce chantier marque un moment symbolique : un chêne arrivé à maturité sur le site est abattu pour permettre les travaux. Mais pour Anthony, il était impensable d’abattre un chêne sans lui rendre hommage. Il décide alors de destiner cet arbre à la fabrication de fûts. C’est la merranderie du Barrois située à Cour l’Evêque, à seulement 8km de la brasserie qui s’est chargée de la transformation de la grume. Après 32 mois de séchage, la tonnellerie Rousseau a continué le travail et façonné 9 fûts de 228 litres.
Ce choix, bien entendu, n’est pas anodin. Inspiré par son grand-père et son père, des distillateurs de fruits, Anthony saisit cette opportunité pour relever un nouveau défi : intégrer la distillation au cœur de la brasserie de Vauclair. « Bière + Alambic = Whisky », rappelle-t-il avec enthousiasme. La décision est prise : la brasserie se lance dans l’élaboration d’un single malt.
En 2020, il déniche un alambic charentais de 12,5 hectolitres, qui est installé en février 2021. Quelques mois plus tard, le 28 avril, une date clé est franchie : les 9 barriques issu du chêne de Vauclair sont prêtes et les premiers distillats sont mis en vieillissement.
Le whisky le Cahou
Pour la production de son whisky, Anthony et son équipe suivent un processus méticuleux. Tout commence avec un Wash unique inspiré de la bière spéciale de la brasserie dont la recette repose sur 95 % d’orge Lauréate et 5 % de malt fortement torréfié. Bien entendu, l’étape du houblonnage est omise pour le whisky.
La fermentation s’étire sur une semaine avec les levures de la brasserie cultivées localement puis, la distillation, réalisée dans l’alambic charentais chauffé au gaz, est un processus lent et précis. La première passe s’étale sur 11,5 heures, tandis que la seconde dure 14 heures, le distillat récolté et particulièrement riche et aromatique, il avoisine les 72%.
Coté vieillissement, les fûts, fabriqués à partir du chêne de la brasserie, jouent bien entendu un rôle central dans l’identité du futur whisky. Cependant, Anthony reste prudent : « Le chêne neuf marque beaucoup le distillat, en particulier les chauffes fortes. Au bout de quatre mois, nous avons basculé ces whiskies en fûts de banyuls, j’avais l’intuition que les vins doux naturels pouvaient fonctionner », explique-t-il « au final, notre premier whisky est un assemblage de 4 doubles maturations » ajoute-t-il.
Héritage est le fruit d’un assemblage complexe de quatre expressions distinctes :
- Une part de whisky ayant d’abord vieilli en fût de chêne neuf à chauffe forte, puis transférée en fût de Banyuls.
- Une part ayant vieilli en fût de chêne neuf à chauffe moyenne et longue, suivie d’un passage en muids montsaugeonnais, le vin local !
- Une part ayant également vieilli en fût de chêne neuf à chauffe moyenne plus, avant d’être transférée en fût de Banyuls.
- Enfin, une part ayant vieilli en fût de chêne neuf à chauffe légère, puis en muids montsaugeonnais.
Nez : Riche et expressif, il s’ouvre sur des arômes de noix de cajou, de prune et de confiture d’abricot, rehaussés par des notes champêtres de foin et de malt humide. Une légère touche florale s’invite, accompagnée d’une subtile note de safran et de zaatar, ajoutant une dimension épicée et oriental au whisky !
Bouche : Ronde et souple, elle dévoile une palette gourmande de pâtes de fruits (orange, cassis, abricot), avant d’évoluer sur des céréales fraîches et du malt torréfié évoquant des biscuits secs trempé dans un Mocaccino. Des fleurs blanches séchées apportent une dimension supplémentaire et témoignent d’une belle complexité.
Finale : Longue et persistante, elle laisse un palais tapissé de confiture réhaussé par les épices typiques du chêne français, notamment le clou de girofle. La rétro-olfaction révèle des nuances de fruits noirs, prolongeant l’expérience avec élégance pendant de longues minutes.
La brasserie de Vauclair, forte de son expérience brassicole et d’une humilité exemplaire, signe un sans-faute avec Heritage, son tout premier whisky. Cette première expression est déjà accompagnée d’un superbe single cask vieilli en fût de porto blanc, dont nous vous reparlerons prochainement. Les chais de la brasserie recèlent également de très belles expressions à venir, promettant un avenir brillant pour ce nouvel acteur du whisky français !