« L’ambition est de créer des whiskys qui goûtent l’âme d’un territoire sans la consumer, des whiskys qui célèbrent le temps qui passe sans le dépecer. »
Après 15 ans à arpenter les « chemins de traverse », Frédéric Revol nous dévoile un peu plus son Whisky de Montagne dans un magnifique livre édité chez Terre Vivante. Il n’est donc pas question cette fois-ci de boisson maltée, mais d’un ouvrage richement illustré invitant à se nouer plus intimement avec l’histoire, la démarche et la philosophie du Domaine Hautes Glaces et de son fondateur. Un objet fini pour en célébrer un en mouvement : la première ferme-distillerie de whisky biologique au monde.
« Comme beaucoup d’autres, cette d’histoire commence autour d’un verre »
Whisky de Montagne s’ouvre par la question du goût. Au milieu des années 2000, Frédéric Revol est alors ingénieur agronome spécialisé dans « la relation entre l’économique et le vivant ». Accompagné d’un ami, il raconte sa découverte du whisky, de son immensité aromatique et de la manière dont il se laissera séduire par ce breuvage capable de raconter les époques et porter les émotions.
La genèse du Domaine des Hautes Glaces
Entre souvenirs personnels et faits historiques, les premières pages laissent entrevoir toute la curiosité et la passion naissante de Frédéric. On y lit quelques lignes sur la genèse de la distillation, puis celle du whisky écossais avec lequel l’auteur finira d’ailleurs par se positionner en rupture, le jugeant déconnecté de sa matière première. Déchiré entre le plaisir éprouvé lors de dégustations de whisky écossais, et le sentiment de déroger à ses convictions agroécologiques, la solution pour Frédéric se traduira finalement par une ferme intention créatrice.
« En revanche, une question commençait à m’obséder : quel serait le goût d’un whisky qui emprunterait d’autres chemins de production, qui remettrait les céréales et le lien à la terre au cœur de ses processus d’élaboration [?] »
S’il s’agit bien de lien à la terre, encore faut-il la trouver…
Dans cet ouvrage, Frédéric nous livre ses convictions. Pour lui, les individus et les espaces qu’ils occupent sont, ensemble, habités par un « génie du lieu » (terme emprunté aux Romains dans l’Antiquité, le genius loci). Ce génie, à la manière du terroir aujourd’hui, s’exprime dans la qualité et la singularité des fruits qu’il nous partage, dans ses « offrande[s] ».
Alors qu’en est-il du whisky ?
Dans cette logique, un lieu apparaît au fil du temps « comme une évidence » pour Frédéric.
Serait-il possible de révéler la quintessence* de ce territoire d’exception dans une goutte de whisky ?
« Nous savons ô combien les lieux comptent, même si nous ne pouvons pas nous empêcher de trahir leurs génies, sacrifiant trop souvent la générosité de leur offrande sur l’autel d’une société qui s’imagine toute puissante et se rêve hors sol. »
Ainsi, la prose de Frédéric et les magnifiques photographies de Céline Clanet nous plongent au cœur du Trièves (Isère), ce haut pays si cher à Jean Giono, loin des regards et des bourdonnements de la ville. Un territoire de pastoralisme** entre le Vercors, les Écrins et le Devoluy, où l’histoire socio-culturelle, l’emplacement géographique et les traditions agricoles ont permis la préservation d’une agriculture paysanne et biologique. Bien loin donc du conventionnel et du productivisme prôné par l’État à partir des années 1960 (qui fut d’ailleurs un échec dans la région).
Nous voilà, nous lecteurs, propulsés au cœur des Alpes, sillonnant les routes à la rencontre d’amis paysans de montagne et recherchant inlassablement une ferme pour y accueillir un projet de production de spiritueux.
En septembre 2008, sur les terres de Thierry et Éric Ailloud-Perraud, ses amis paysans Trièvois, Frédéric sème ses premières orges en agriculture biologique et régénérative.
« Dans ce lieu devait s’écouler un autre temps. »
Le whisky n’est pas une fin en soi aux Hautes Glaces.
Plus que le récit du Domaine, Whisky de Montagne invite à une réflexion sur les liens qui nous unissent, sur notre rapport à la nature, sur la manière d’entreprendre, de produire, de consommer.
S’émancipant des dogmes anglo-saxons du whisky, Frédéric nous raconte d’autres manières de cultiver et d’emprunter à la terre (technique culturale simplifiée…), d’utiliser les matières et les énergies (« chemin de la moindre énergie »), de consumer le temps et de percevoir le goût. En bref « par l‘éducation du goût, d’épaissir notre relation au vivant et aux éléments. »
« Je vais apprendre peu à peu, saison après saison, à composer. »
Cette éducation est permanente. Et si les premiers pas de Frédéric sur ses terres, ses premières expériences sur son tracteur Fendt 395 et ses premières distillations ont nécessité certains ajustements, les 15 ans passés, la nouvelle distillerie et l’entrée au capital du Groupe Remy Cointreau ne semblent pas avoir ralenti ou figé les choses. Bien au contraire, c’est une manière d’élargir le fameux « champ des possibles ».
Précis Technique
Pour les férus de whisky, un « précis technique » vient se glisser dans le livre, l’occasion de vérifier nos (vos) connaissances côté production. Attention tout de même, certains passages sont plus techniques que d’autres…
« Des amylases vont transformer l’amidon en sucres simples, tels que le maltose et le glucose, des protéases vont dégrader les protéines en peptides et en acides aminés, des glycosidases vont hydrolyser les parois hemicellulosiques de la graine. »
Du champ au chais, tout est passé au crible dans ces 27 pages dédiées à la production ! Une sorte de visite écrite du Domaine, seulement privée de ses odeurs, ses sons, ses goûts. Accompagné du coup de crayon de Maëlle Le Toquin, Frédéric énonce et explique ses choix à chaque étape d’élaboration. Céréales, levures, cuves, alambics, combustibles, mais aussi système de récupération d’énergies et d’eau, architecture…
Mais avouons-le, de la même façon qu’un chef étoilé nous détaillerait sa recette, nous aurions beau avoir tous les ingrédients, les ustensiles, les temps de cuisson et les températures, le résultat demeure inimitable. Il faut croire qu’après tout, dans l’antre de sa distillerie, le génie du lieu reste Frédéric Revol !
Pour conclure…
Vous l’aurez compris, cet ouvrage est pour moi une grande réussite !
Agriculture de montagne, distillation, dynamique sociale, écologie et j’en passe. Si l’on prend autant de plaisir à la lecture, c’est parce que les mots sont justes et les sujets qu’ils nourrissent vont au-delà du whisky (c’est la qualité émergente d’un système dynamique, dirait Fred).
L’auteur nous invite à prendre un peu de hauteur, à mettre en perspective ces 15 ans d’existence. Observer l’écosystème qui gravite autour du Domaine des Hautes Glaces et les interactions qui y contribuent. Depuis 15 ans, les Hautes Glaces s’adonnent à relocaliser la valeur ajoutée, au service du territoire, de ses habitants et de l’environnement.
Il a toujours été question de goût, oui. Celui pour le beau et pour le bon.
On se sert une goutte d’un whisky des Hautes Glaces de notre « bibliothèque spiritueuse », on lit Whisky de Montagne et on comprend rapidement qu’ici, le souffle de l’esprit est parvenu jusqu’à l’oreille du génie, lui murmurer qu’autour d’un verre une magnifique histoire s’apprêtait à commencer.
Livre disponible en librairie et en ligne, à commander sur https://hautesglaces.com/products/whisky-de-montagne
Calendrier des futures rencontres avec Frédéric Revol :
5 décembre – Soirée à la cave à manger Les GaRnements (67100 Strasbourg)
6 décembre – Masterclass au bar de La Maison du Whisky, le Golden Promise (75002 Paris)
7 et 8 décembre – Salon Mi-Livre Mi-Raisin (La Bellevilloise, 75020 Paris)
13 décembre – Dégustation, interview et dédicace Grenoble au Restaurant Le Minimistan (38000 Grenoble)
*La quintessence (Quinta essencia) au sens donné par les alchimistes, décrit une substance qui résulte d’un processus de distillation successive en s’appuyant sur les quatre (premiers) éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.
**Le pastoralisme est une activité traditionnelle de la montagne, caractérisée par la pratique de la transhumance des animaux.