C’est un monument du whisky alsacien qui ferme ses portes. La Distillerie Bertrand a récemment annoncé cesser son activité, marquant la fin d’une aventure débutée en 1874. Installée à 45 kilomètres au nord de Strasbourg, dans le village d’Uberach, cette distillerie artisanale aura su, en plus d’un siècle d’existence, faire rayonner son savoir-faire en matière d’eaux-de-vie dans un premier temps, puis de whisky depuis 2003 !
Effectivement, la distillerie fondée par Joseph Bertrand il y a près de 150 ans s’est d’abord distinguée dans la production d’eaux-de-vie alsaciennes, comme en témoignent les murs du bâtiment surchargés de récompenses en tout genre. Puis, au début du millénaire, la Distillerie Bertrand prend un tournant décisif avec l’élaboration de son propre whisky, Uberach. Le projet de single malt, mené par l’inénarrable Jean Metzger, grand passionné de natation, de surf et de vin, conduira la distillerie à explorer des méthodes de vieillissement inédites, exploitant des barriques en provenance des plus grands vignobles français. De cette période d’expérimentation résulteront des whiskies parfois très originaux, à l’aromatique déstabilisante, mais aussi de très grandes réussites, capturées dans des embouteillages appelés à devenir iconiques !
Cette quête aromatique aboutit notamment en 2013 à la mise en bouteille du premier whisky français âgé de 10 ans, sous le nom de X Years After, un clin d’œil assumé à la musique rock que Jean affectionne tant et un pied de nez à la réglementation qui interdit les mentions d’âge sur le whisky français. La même année, la distillerie donne naissance au Biersky, une eau-de-vie de bière dont le potentiel n’a pas encore été pleinement exploité !
Une production artisanale
Avec une production modeste mais parfaitement maîtrisée, la Distillerie Bertrand a su se créer une identité forte. Un mashbill incluant une petite part de malt tourbé offre à ses whiskies une patte rustique. À contrario, l’utilisation d’alambics Holstein à colonne et de la double distillation (dans le respect des règles de l’IGP Whisky d’Alsace) apporte de la finesse, tandis que le chai semi-enterré favorise de longues maturations.
Côté fût, difficile d’être exhaustif tant la distillerie Bertrand a été prolifique. Néanmoins, Jean Metzger a toujours travaillé avec des barriques issues à 100 % de bois français, notamment d’anciennes barriques de vin tranquille (Alsace, Jura, Rhône, Bourgogne), effervescent (Champagne) et muté (VDN). La plupart des embouteillages ont été réalisés sous la marque Uberach, soit en X Years After pour les fûts de Banyuls, soit dans une gamme couleur où le jaune signale les barriques de vin du Jura, le bleu celles des vins de la vallée du Rhône et le vert celles en provenance de la Bourgogne et de l’Alsace.
En 2022, un dernier tournant est amorcé avec le lancement de St Wendelin, une seconde marque qui se voulait plus lisible et rendait hommage au saint patron d’Uberach. Si cette nouvelle marque a consolidé l’ancrage de la distillerie dans son territoire, elle n’a toutefois pas permis d’obtenir un succès commercial suffisant pour permettre à la distillerie de poursuivre.
Aujourd’hui, dans un contexte difficile, le groupe Wolfberger, qui possède la distillerie Bertrand, a décidé de centraliser ses activités et de se concentrer sur la distillerie de Colmar. D’ailleurs, il se peut qu’un whisky alsacien voie le jour de ce côté-là dans les prochaines années !
Des futurs collectors
Si la fermeture de la Distillerie Bertrand marque la fin d’un chapitre, son héritage, lui, demeure. Les passionnés de whisky alsacien garderont en mémoire la signature unique des whiskies d’Uberach. Parmi les embouteillages iconiques, on notera les fûts 101, 102, 103 et 104, l’embouteillage emblématique de la Zygothèque, les premiers X Years After de 2013, ou encore la superbe collaboration avec Version Française.
Un dernier verre en hommage à la Distillerie Bertrand, dont le nom résonnera encore longtemps dans le cœur des amateurs de whisky Francais :
Premier whisky français de 10 ans : X Years After 2013 (Fût #106, Bouteille 39) Non filtré et embouteillé à 47,7 %
Robe : Vieille or, reflet rubis
Nez : Riche, le nez commence par une immersion dans l’ambiance chaleureuse d’un marché de Noël alsacien ! Des effluves de pain d’épices, de fruits confits (orange amère), de vin cuit et de noix s’entrelacent à des notes gourmandes de crème brûlée et de noisette au chocolat. Progressivement, les épices se font plus présentes avec des touches de clou de girofle, de cardamome et de tabac blond !
Bouche : Ample et onctueuse dès l’attaque, elle révèle d’abord des notes de caramel brûlé, de noix de kola, de raisin de Corinthe et de pêche cuite. Peu à peu, le whisky déploie toute sa complexité avec une explosion d’épices (vanille, girofle, poivre, piment doux) et une touche de noix (macadamia), enrichie par des arômes évoquant une boîte à cigares.
Finale : D’une belle longueur, la finale dévoile des notes de caramel toasté et légèrement iodé, puis, les épices réapparaissent individuellement avant de s’estomper progressivement. Après de longues minutes, le whisky laisse une empreinte délicatement persistante.
5 Whiskies mythiques de la distillerie dont le Uberach X Years After 2013 au centre
A la santé de toute l’équipe de la distillerie Bertrand !