Niché dans le Bas-Rhin, le village de Balbronn a longtemps été un haut lieu de la distillation. Déjà en 1894, le pasteur local recensait pas moins de 62 propriétaires pratiquant la distillation, principalement de fruits et de marcs. Dans son ouvrage « Geschichte der Gemeinde Balbronn » Le pasteur Kieffer mentionne également une première distillation à Balbronn en 1606 dans une « Brennhaus » – littéralement « maison à brûler » – aussi appelé brûlerie ou, tout simplement, distillerie !
Aujourd’hui, c’est à la distillerie Hagmeyer seule qu’incombe la tâche de faire vivre cet héritage, d’abord à travers ses eaux-de-vie traditionnelles de grande qualité, puis, depuis 2016, par la création d’un whisky 100 % alsacien.
Un savoir-faire ancré dans le terroir
L’histoire de la distillerie Hagmeyer débute dans les années 1960. À la suite d’un désaccord sur le prix des mirabelles, Auguste Hagmeyer décide de distiller ses propres fruits afin de mieux les valoriser. Une idée d’autant plus évidente qu’il dispose d’un vieil alambic E.Linck de 1921 sur l’exploitation familiale. Ses fils, Willy et André, reprennent le flambeau et fondent en 1983 une structure dédiée à la distillation.
La qualité de leurs eaux-de-vie, qu’ils produisent des vergers à la bouteille, est rapidement reconnue : en 1986, ils sont sollicités pour fournir le meilleur sommelier de France et du monde, Philippe Nusswitz. Tandis que Willy s’occupe de la production, André se consacre à la culture des vergers. À la fin des années 1990, l’entreprise grandit et s’installe dans de nouveaux locaux. En 2006, elle s’équipe de quatre alambics Holstein de 400 et 700 litres. Mirabelle, kirsch, poire, fraise, marc… la gamme continue de s’étendre, mais pour l’heure, il n’est pas encore question de distiller des céréales !
Le Whisky WAH
En 2014, alors que les débats sur l’Indication Géographique Protégée (IGP) « whisky alsacien » battent leur plein, l’idée de produire un single malt fait son chemin dans l’esprit de Willy Hagmeyer. Il en parle à son frère André, à sa fille Elsa et à son neveu Christophe, qui reprennent petit à petit l’exploitation. Ensemble, ils décident de se lancer !
Mais, comme pour la plus part de leurs eaux-de-vie de fruits, l’équipe tient à maîtriser sa matière première. Pas question d’acheter des céréales en vrac à une malterie : aussi, dès l’année suivante, en 2015, la distillerie sème de l’orge bio de la variété RGT Planet, qui sera maltée à façon dans une micro-malterie de l’autre côté de la frontière allemande.
Puis, la distillerie se rapproche de la brasserie Perle à Strasbourg, avec qui elle travaille sur des fermentations longues produisant un moût à 7 % d’alcool, riche en esters fruités. Fidèle à la tradition des eaux-de-vie alsaciennes, c’est bien les aromes de fruits que la distillerie souhaite exprimer ! La distillation s’effectue dans deux alambics Holstein de 400 litres. Conformément à l’IGP, une double distillation est pratiquée, avec une coupe du cœur entre 73 % et 80 %.
Enfin, pour l’élevage, c’est là aussi une approche locale (et fruitée) qui prédomine ! La distillerie construit un partenariat avec la coopérative viticole Dagobert. Elle y récupère des fûts ayant contenu du pinot noir ou du riesling, qui sont ensuite rempli avec le distillat à haut degré (72%) avant d’être stockés dans des chais non régulés (l’un d’entre eux étant tout simplement à l’air libre). Depuis peu, la distillerie travaille également avec des fûts en chêne neuf de la forêt de Balbronn. Après quelques mois, les résultats sont déjà impressionnants.
Des whiskies aux accents fruités et alsaciens
C’est en 2019 que le premier whisky de la maison voit le jour, sous le nom de WAH! – acronyme enthousiaste de Whisky Alsacien Hagmeyer. Les whiskies de la distillerie, marqués par une forte identité aromatique, rappellent par moments les eaux-de-vie de fruits. La version classique, issue d’un élevage en fûts de pinot noir, développe des notes de pêches, prunes et abricots secs, enrichies d’arômes de céréales et de fleurs séchées. Tandis que le single cask n°23, issu d’un fût de riesling, dévoile des notes plus pâtissières : caramel au beurre, confiture d’orange, céréales grillées et fruits à coque.
Portés par une tradition familiale forte, un ancrage local affirmé et une volonté de faire rayonner le whisky alsacien, Elsa et Christophe, représentants de la troisième génération de distillateurs, dirigent aujourd’hui l’entreprise. Christophe est en charge de l’entretien des cultures (vergers, vignes, fraisiers et grandes cultures) tandis qu’Elsa prend le relais à partir de la mise en cuve jusqu’à la commercialisation des bouteilles. Avec WAH, ils écrivent aujourd’hui un nouveau chapitre de l’histoire de Balbronn, quatre cent ans après l’installation des premières Brennhaus du village.