À 950 mètres d’altitude, à Neussargues-en-Pinatelle, la Distillerie des Hautes Terres trace depuis peu son sillon dans le paysage du whisky français. Ici, en plein Massif central, François et Greta Pagès ont choisi de créer un whisky fermier en s’inspirant notamment du monde du vin et en s’appuyant sur les céréales cultivées à la ferme familiale, située à quelques kilomètres de la distillerie, à 1 100 mètres d’altitude.
Histoire
Le projet prend racine en 2020, lorsque le couple, bloqué en Côte d’Ivoire pendant le confinement mondial, prend le temps de mettre sur pied une idée mûrie de longue date : produire un whisky capable d’exprimer son terroir avec la même sincérité qu’un grand vin.
« À l’instar du vin, nous pensons qu’un grand whisky doit être le reflet de l’endroit d’où il vient. »
François Pagès
Il faut dire que le couple ne manque pas d’atouts pour concrétiser un tel projet ! Greta, sommelière, a façonné son palais à Londres en tant qu’acheteuse et sommelière. Elle endosse aujourd’hui le rôle de Master Blender, avec la mission de créer des recettes de gin, de vermouth, mais aussi d’imaginer l’assemblage des whiskies. François, lui, a quitté l’export de vin pour revenir à la ferme et conduire la distillation. À la fois maître distillateur et directeur commercial, il porte l’ambition de donner à l’Auvergne une place de choix sur la carte du whisky français.
L’aventure commence dès l’année suivante avec une première distillation d’un brassin d’orge réalisée en deux passes chez Moutard en 2021, puis en 2022 avec les premiers essais de distillation d’un mashbill majoritairement composé de seigle dans un alambic Stupfler à la Distillerie du Golfe.
En septembre 2023, le bâtiment de Neussargues est enfin acquis et, au printemps suivant, l’alambic Stupfler de 800 litres est installé. Après une période consacrée à la mise au point d’un gin, le couple se lance dans la production de deux whiskys : un single malt et un whisky issu d’un assemblage de 51 % de seigle et 49 % d’orge maltée.
En juillet 2025, la Distillerie des Hautes Terres dévoile son tout premier single malt, baptisé Mura, en référence à la commune voisine de Murat. Située entre la ferme familiale et la distillerie, cette cité auvergnate a de tout temps occupé une place stratégique, véritable carrefour de la Haute-Auvergne grâce à sa position centrale dans la région.
De la ferme à la bouteille
Le cadre technique est à la hauteur des ambitions. La distillerie maîtrise la quasi-totalité de la production. À la ferme de Molède, Jean-François, cousin de François, cultive les céréales destinées à la distillerie. Attaché au respect de ses prairies, il refuse l’usage de pesticides et privilégie des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement quitte à voir proliférer la Vesce bleu dans ses champs*. Il cultive différentes variétés adaptées au terroir de montagne : l’orge de printemps (Lauréate), l’orge d’hiver (Faro), ainsi que du seigle.
« J’adore le seigle, c’est une céréale parfaitement adaptée à nos sols. À terme, nous visons une production composée pour deux tiers de rye whisky et un tiers de single malt. »
François Pagès
L’objectif à terme est de consacrer 8 hectares aux cultures pour le whisky. Aujourd’hui, 5 hectares sont dédiés à l’orge et 2 hectares au seigle, tandis que 15 autres sont alloués à la culture du blé et du triticale. Ces deux dernières céréales sont destinées à l’alimentation du bétail, notamment les vaches Salers de la ferme.
Les céréales sont maltées par lots de 6 tonnes à la Malterie des Volcans, qui garantit une traçabilité parfaite. Pour le brassage et la réduction, la distillerie dispose d’une eau pure, issue d’une source découverte par le père de François, Guy, à douze mètres de profondeur sous la ferme familiale.
Les fermentations, menées en cuves ouvertes de quinze hectolitres pendant trois jours, développent des arômes fruités de pêche et de poire. Le Stupfler de 800 litres, chauffé à feu nu, concentre le tout et produit un distillat particulièrement rond, céréalier et fruité, autour de 80 %.
Vient ensuite le temps de l’élevage. Pour cette étape, la distillerie utilise des fûts neufs de chêne français, mais aussi des barriques ayant contenu bourbon, cognac, sherry ainsi que les Black Scale de la tonnellerie Navarre (un équivalent des STR). Mais l’originalité de la distillerie en matière d’élevage réside surtout dans le fait que, tous les trois mois, les eaux-de-vie sont dégustées, assemblées, redistribuées et transférées pour stimuler les échanges et homogénéiser les lots. Ce suivi « dynamique » donne aux jeunes spiritueux une complexité inhabituelle.
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Et au-delà du whisky…
Si le whisky reste la finalité, la Distillerie des Hautes Terres s’est déjà fait remarquer par ses créations parallèles. Le gin Orée, intense et floral, distille l’esprit sauvage des montagnes avec son bouquet de genévrier frais, de bruyère et de bourgeons de pin. Les vermouths, élaborés à partir de plantes locales et vieillis en fûts de whisky, offrent trois profils distincts : un Dry vif et salin, un Bianco parfumé aux agrumes confits, et un Rosso profond, marqué par les fruits noirs et les épices.
La première année, 5 000 bouteilles de single malt ont été produites. À terme, l’objectif est d’atteindre 20 000 bouteilles par an, issues de 30 tonnes de céréales cultivées sur place. Un volume modeste à l’échelle de l’industrie, mais qui illustre une philosophie : produire moins, mais mieux, avec la volonté farouche d’ancrer chaque bouteille dans le paysage d’Auvergne.
* Il arrive que les champs de la ferme de Molède se parent de reflets bleutés. Cette couleur est due à la vesce sauvage, aussi appelée vesce commune (Vicia sativa et espèces proches), une légumineuse spontanée qui témoigne d’une agriculture respectueuse : elle révèle un sol vivant capable de fixer naturellement l’azote, suggère l’absence de désherbants chimiques trop agressifs et favorise la biodiversité en attirant les pollinisateurs et en enrichissant la faune du champ.