Distillerie artisanale indépendante labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant en 2019, La distillerie Nusbaumer s’est distinguée sur la scène whisky en signant une nouvelle collaboration inédite avec Gilbert Holl. Entretien avec Nicolas Lombard sur ce projet et sur la notion d’indépendance pour une distillerie.
- Nicolas, quelques mots sur votre parcours…
« J’ai toujours travaillé dans les spiritueux, notamment plusieurs années chez Pernod-Ricard puis plus récemment chez La Maison Du Whisky – LMDW en tant que Directeur marketing et commercial. Attiré par l’aventure entrepreneuriale, j’ai eu la chance de reprendre cette distillerie artisanale et familiale il y a tout juste deux ans – en Avril 2018. Je reste très redevable à ces deux entreprises qui m’ont permis de nourrir ma passion pour la distillation et de me forger une conviction sur le potentiel des spiritueux de qualité. » N. L.
- Quelles sont les spécificités de Nusbaumer ?
« Nous distillons une grande variété de végétaux – environ une soixantaine. Leur dénominateur commun est la naturalité. Depuis sa fondation en 1947 dans les Vosges alsaciennes, la distillation des végétaux est en effet le cœur de métier de la distillerie. Notre environnement écologique de moyenne-montagne et sa biodiversité nous ont toujours amenés à distiller toutes sortes de
végétaux : des fruits (poire, prune, framboise, mirabelle, …) – mais aussi des plantes – baies et botaniques régionales (églantine, alisier, prunelle, sureau, cumin, baies de houx, bourgeons de sapin, aspérule, …).La profondeur de notre gamme est une des caractéristiques de notre maison. Nous nous attachons à conserver un certain nombre de produits qui sont moins diffusés et qui rencontrent un succès commercial plus confidentiel mais qui représentent à nos yeux une illustration de notre expertise (notamment ces bais sauvages).
Nous avons ouvert cette année une nouvelle page de notre savoir-faire via le lancement de nouvelles distillations végétales – un Gin de montagne et un Aquavit Français. A travers ces nouveaux produits nous n’improvisons pas pour répondre à des effets de mode ou à des tendances éphémères mais nous perpétuons un savoir-faire, la distillation des fruits et des plantes. Il était donc tout naturel pour la distillerie d’ajouter aujourd’hui de nouveaux alcools végétaux à sa gamme traditionnelle. Ce Gin de montagne Jos’Berri et cet Aquavit français Aptekarsky ne sont que les premières expressions de cette nouvelle gamme qui a vocation à grandir via de prochains développements. » N. L.
- Et le whisky ?
« Ce projet de whisky est né d’une rencontre. Nous avons été contactés par Gilbert Holl en fin d’année 2019 car il souhaitait cesser son activité. Au fil de nos échanges nous nous sommes rendus compte que nous partagions des valeurs communes et que nous avions des grandes convergences sur des idées précises. Nos profils et nos âges sont différents mais nous nous rejoignons sur les points essentiels.
Gilbert Holl fait partie des figures emblématiques d’Alsace. Il a notamment été le premier à distiller du whisky dans la région, en 1999. Il fait partie du patrimoine et dispose d’une parfaite maîtrise de la micro-distillation. Il aurait été dommage que son savoir-faire et sa réputation s’éteignent… Dans le même temps, je ne voulais pas reprendre une marque pour improviser un whisky qui ne lui ressemble pas. Nous en avons discuté et nous sommes parvenus à la conclusion suivante : il serait pertinent de continuer à faire vivre la marque Holl à travers un véritable partenariat. Au-delà de la très grande qualité des différents lots de whisky âgé que nous avons repris, nous avons convenu avec Gilbert qu’il nous accompagne sur plusieurs années pour pérenniser le style Holl. » N. L.
- Pouvez-vous nous en dire davantage sur la production de whisky et le stock que vous avez repris ?
« Nous disposons maintenant en stock de vieux whiskies de différentes années (certains batchs datent de sa première distillation en 1999). La qualité notamment du Lac’Holl 1999 est impressionnante, c’est l’ADN de la marque que nous devons préserver. Ces vieux whiskies nous guideront notamment dans notre volonté de rester fidèle au style initial de Gilbert Holl.
Pour le futur, nous distillerons avec ses conseils, avec ses méthodes et ses recettes. Un de nos alambics sera dédié à la distillation du whisky (nous avons quatre alambics Holstein de 500 litres chacun). Les malts seront les mêmes que ceux utilisés à l’origine par Gilbert. En ce qui concerne le vieillissement en fûts et barriques, nous prenons le temps de la réflexion et du sourcing. Je me méfie de la vitesse et de la précipitation. Nous souhaitons nous assurer de faire des whiskies qui ont du sens, qui s’inscrivent dans leur terroir et dans la continuité du style Holl. La mise en marché n’est pas encore définie ni aboutie. La seule chose que nous savons c’est que nous privilégierons le temps long… » N. L.
- Que pensez-vous de l’engouement autour du craft ?
« Je reste prudent sur l’émergence et la notion du craft. Il convient d’être vigilant sur ce sujet pour éviter tout effet « marketing ». À l’inverse, je crois au retour des distilleries artisanales françaises qui ont leurs propres identités.
Les nouvelles tendances de consommation nous confortent dans notre positionnement premium et artisanal. Notre objectif est de nous inscrire dans la tendance mondiale de croissance des spiritueux premiums artisanaux en basant notre développement sur deux piliers solides, différents mais complémentaires : le travail des fruits et des plantes chez Nusbaumer, le whisky chez Holl.
Le challenge que nous nous fixons est de redéployer une gamme de produits uniques et traditionnelles, tout en innovant en développant des spiritueux plus modernes. La convergence entre ces gammes modernes et traditionnelle repose sur l’excellence de la distillation. Malgré leurs différences, ces gammes répondent à une forte attente des consommateurs – amateurs comme experts – pour des produits artisanaux et authentiques. » N. L.
- Comment le marché se structure ? Comment positionner votre distillerie ?
« Le marché est en pleine effervescence ; il y a une réelle ébullition avec l’ouverture de nouvelles distilleries et l’apparition de nouveaux modèles, comme les embouteilleurs indépendants. Je pense que lorsque le marché arrivera à maturité, il va se structurer, entre les intervenants qui distillent, les intervenants qui font vieillir et les intervenants qui assemblent et embouteillent. Toutes ces démarches sont différentes et intéressantes et enrichissent l’industrie du whisky français.
Conscients de cette situation, nous avons décidé de prendre notre temps. Pour élaborer un whisky de qualité il faut de la précision, de l’exigence et du temps. Il ne faut pas chercher l’originalité à tout prix. Chercher le gimmick marketing ne nous intéresse pas. Garder une forme d’authenticité oui. L’originalité est possible mais il faut le faire à condition qu’il y ait un vrai apport au produit, tout en respectant son identité et son caractère. Nous avons en cela la chance de bénéficier d’une véritable tutelle avec Gilbert, garant de la signature Holl. Nous agirons dans la continuité.
Notre attachement à la notion de terroir guide également nos décisions. Ainsi, nous ne produirons pas de whisky tourbé car il n’y a pas de tourbe dans notre région. Encore une fois, notre indépendance nous permet de travailler en nous affranchissant des diktats marketing. » N. L.
- Que vous évoque l’indépendance de la distillerie ?
« L’indépendance, c’est la première valeur que nous revendiquons.
C’est notamment le fait d’avoir une structure financière solide qui permet de maitriser en interne l’ensemble de la production. Nous sommes nombreux à travailler à la distillerie (10 personnes en production) et cela nous permet de maitriser l’ensemble de la chaîne de production – fermentation / macération, distillation, embouteillage, vieillissement.
C’est aussi le fait d’être absent de GD et de travailler avec une multitude de clients CHR, cavistes ou revendeurs indépendants, et ainsi ne pas être captif vis-à-vis d’un business model concentré.
C’est enfin de disposer des ressources financières suffisantes pour assurer des approvisionnements de qualité et enfin stocker nos eaux de vie entre 2/3 ans en moyenne.
En termes financiers, la masse salariale et l’achat de fruits sont les deux postes les plus lourds. Il pourrait être tentant de réduire ces postes mais nous faisons le choix de préserver et de privilégier le savoir-faire !
Parallèlement, nous continuons à faire de petites séries en small batchs, économiquement peu pertinentes mais qui font partie du patrimoine alsacien. Nous voulons continuer à les travailler et ce grâce à notre indépendance. D’autres choix seraient faits si nous dépendions d’autres intérêts économiques. » N. L.
- En parlant de personnel, votre distillerie compte une quinzaine d’employés dont l’ancienneté moyenne est de 30 ans. Quel est votre regard sur cette situation devenue rare dans le paysage de l’entreprise ?
« Dans ma période de réflexion avant la reprise et encore plus depuis mon arrivée au sein de l’entreprise, je me suis rendu compte que le premier actif de la distillerie était le savoir-faire des collaborateurs. Du liquoriste au distillateur, tous sont de vrais artisans disposant d’un savoir-faire pointu et exigeant. Cette maîtrise est le fruit de la continuité dans le travail, distingué par l’obtention du label EPV. Notre challenge sera de transmettre ces connaissances dans les prochaines années. » N. L.
- Où trouve-t-on vos produits ?
« Nous sommes distribués en France et en Europe (principalement en Allemagne et au BeNeLux pour le moment). Sur chacun de ces marchés nous sommes présents uniquement dans les circuits traditionnels et sélectifs – en CHR et chez les cavistes et revendeurs indépendants. En France notamment, nous ne sommes pas distribués en Grande Distribution mais notre volonté de développement à l’échelle nationale est ambitieuse comme en témoigne notre partenariat avec LMDW. » N.L.
- Pour conclure ?
« Indépendance et continuité. » N.L.