Si l’histoire du whisky Français est plutôt récente (1987 le premier blend, 1998 le premier single malt), la maitrise de la distillation et du vieillissement est bien antérieure. En 1310, Maître Vital Dufour, Prieur d’Eauze et de Saint Mont, fait l’apologie de l’Armagnac dans son ouvrage « pour garder la santé et rester en bonne forme » (On était alors loin de la loi EVIN !)
Cet écrit confère à l’armagnac le statut de « plus ancienne eau-de-vie de France » et c’est fort de cette histoire de plusieurs siècles que la distillerie Samalens a récemment lancé Tchankat, son whisky Français.
Fondée en 1882, la distillerie Samalens appartient aujourd’hui au groupe Mandracore Spirits, lui-même filiale d’un groupe possédant une marque d’eau (les Abatilles) ainsi qu’une dizaine de propriétés viticoles dont le château Gruaud Larose qui, comme nous le verrons plus bas, jouera un rôle clef dans la production du whisky !
À ces deux activités (eau et vin), s’ajoute donc une branche « Spiritueux » dans laquelle nous retrouvons Samalens mais également Larressingle et Gimet pour l’armagnac et Léopold Gourmel pour le Cognac.
En 2018, Nicolas Sinoquet, président de Mandracore Spirit initie le projet de whisky. Pour la production, il s’appuie sur l’expertise de David Antajan, œnologue de formation. Originaire du Gers, David accepte volontiers de relever le défi, d’autant que celui-ci correspond à un retour à ses propres origines !
Il ne s’agit cependant pas d’ajouter simplement un producteur à la liste des distilleries françaises mais bien de produire un spiritueux qui soit le reflet de la région.
C’est cette approche qui mêle terroir et régionalisme qui fait d’ailleurs la richesse et la diversité du whisky français.
Un « Bourbon » Gersois
Le Gers fait partie des plus gros départements producteurs de maïs en France, cela tombe bien, David est un amateur de whisky américain ! Avec Tchankat, il peut produire un whisky dans l’esprit des bourbons tout en valorisant le savoir-faire de sa région.
Aux États-Unis, la règle impose un minimum 51% de maïs complété d’orge et de seigle (ou de blé pour les wheated bourbon) et l’utilisation de fûts de chênes américains neufs.
Après plusieurs essais, David a estimé que la recette suivante était optimale pour leur futur whisky :
80 % de maïs cru
10% d’orge cru
10% de seigle cru
Mais l’utilisation du Maïs se révèlera plus complexe que prévu, lors du brassage, il faut porter le mélange à ébullition pour casser les capsules de Maïs qui retiennent l’amidon puis ajouter des enzymes naturelles pour la saccharification en vue d’obtenir des sucres fermentescibles.
Après adjonction des levures il faudra ensuite patienter une semaine pour récupérer un brassin autour de 6 %vol.
Pour la distillation, David a opté pour les alambics charentais de la distillerie bien que celle-ci soit bien évidemment équipée de colonnes armagnacaises. Loin d’être anecdotique, ce choix lui permet de distiller sur Lies et de produire un distillat particulièrement riche.
Viens ensuite la phase de vieillissement. Comme nous le disions précédemment, pour se rapprocher du Bourbon, le chêne neuf américains semblait évident ! Néanmoins, après plusieurs essais sur ce type de fûts, c’est vers des barriques de vin retoasté que la distillerie c’est majoritairement orienté. Il faut dire que lorsqu’on appartient à un groupe qui possède un domaine dont le vin est classé deuxième grand cu on aurait tort de ne pas saisir l’opportunité ! C’est donc dans des barriques du château Gruaud Larose qui ont déjà contenu trois vins et qui sont ensuite retoastées que Tchankat va puiser une partie de son caractère.
Note de dégustation
Au nez, on retrouve la matière première à travers des parfums de maïs soufflés et caramélisés. Très vite, des fruits mûrs apparaissent, des pommes cuites côtoient des raisins secs, des épices douces et une note de cuir.
D’une belle intensité, la bouche offre des notes de vanille et de muscade qui s’accompagnent de poires rôties et de noix fraîche.
Plutôt longue, la finale renoue avec les céréales avant de bifurquer vers des notes de torréfaction.
Les premières versions de Tchankat sont aujourd’hui disponibles en quantité très limitée mais en 2020, après avoir stabilisé la recette, la distillerie a considérablement augmenté son volume de production.
Aujourd’hui, plusieurs centaines de barriques vieillissent patiemment dans les chais traditionnels de la distillerie. Chai dont les murs sont noircis par les torulas compniacensis, ces fameux champignons qui concurrencent les anges en se nourrissant des vapeurs d’alcool et qui témoigne de la longue histoire de Samalens en matière d’élevage des eaux-de-vie.
A partir de 2023 la bouteille de grès noir orné d’un berger landais devrait donc faire parler d’elle plus largement !