Récemment primée au Concours Général Agricole, la distillerie la distillerie Labarrère 1773, située dans le Béarn, propose une interprétation pyrénéenne du whisky de maïs. À sa tête, Romain Selle, ancien technicien en électrotechnique, qui, après 18 ans passés dans la production d’électricité, a choisi de revenir à ses racines agricoles. En 2021, il reprend la ferme familiale à Saint-Médard (64) et transforme l’ancienne étable en distillerie avec une ambition claire : créer un whisky ancré dans le terroir béarnais et résolument artisanal.
Un parcours atypique, une vocation agricole
L’histoire commence réellement en 2010, lorsque Romain Selle met en pause sa carrière pour suivre une formation agricole et obtenir son BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole). En 2016, il se rend en Écosse et observe la production de whisky, mais avec un regard d’agriculteur. Rapidement, il constate que les volumes produits paraissent démesurés au regard des conditions de culture de l’orge sur l’île.
« Comment font-ils pour produire autant d’orge ici alors que, dans le Sud-Ouest, on peine à y arriver ? » s’interroge-t-il. Lorsqu’il découvre que la majorité de l’orge est en réalité importée, il se sent trompé en tant que consommateur :
« Comment peut-on encore dire que c’est un whisky écossais si la matière première ne l’est pas ? »
Il faut dire que la vision française, marquée par un profond attachement au terroir, peine à s’accommoder du pragmatisme anglo-saxon.
En 2019, il déniche un petit alambic sur Le Bon Coin et commence à tester ses propres distillations, avec la ferme intention de valoriser son territoire et de prendre le contrepied de l’approche écossaise. D’ailleurs, c’est plutôt vers les États-Unis qu’il se tourne, puisant son inspiration dans le bourbon pour ses premières expérimentations.
Issu d’une formation technique, le processus de transformation de l’amidon le passionne immédiatement. La découverte du rôle des enzymes et des levures a été une révélation pour lui, d’autant plus qu’il n’avait jamais étudié la chimie ou la biologie auparavant ! Romain multiplie les essais animés par une question fascinante : « comment une simple graine, solide et non alcoolisée, peut-elle donner naissance à un whisky, liquide et alcoolisé, doté d’une palette aromatique immense ? »
Peu de temps après, ses parents prennent leur retraite et la ferme familiale cesse son activité. Conscient que les 60 hectares de l’exploitation ne suffiraient pas à en vivre sans diversification, il décide d’allier son amour de l’agriculture à sa nouvelle passion pour la distillation. Il fonde ainsi la distillerie Labarrère, du nom de la maison béarnaise typique à laquelle il accole la date de 1773, correspondant, selon les archives, à l’année de fondation de la ferme. Une manière d’inscrire son projet dans le temps long et de valoriser son héritage agricole.
Un whisky artisanal et local
Fidèle à ses convictions, Romain fait un choix radical : cultiver lui-même ses céréales pour garantir une traçabilité totale et une maîtrise complète de la production.
« Dans notre région, la céréale, c’est le maïs. Je préfère cultiver ce qui est adapté à mon territoire, plutôt que de produire de l’orge pour un rendement moyen et l’envoyer se faire malter à 1 000 km, avec tout ce que cela implique en transport et en pollution. » explique-t-il.
Si son mashbill initial contenait encore de l’orge et du seigle malté achetés, il revoit rapidement sa recette pour atteindre une autonomie complète. Aujourd’hui, son whisky est composé à 80 % de maïs, 15 % de seigle et 5 % de sarrasin (dont 1% de sarrasin malté), tous cultivés sur place, dans un rayon de 500 mètres autour de la ferme. (Lire : Une affaire de céréales !)
Seulement voilà, se limiter à 1% de malt, c’est limiter l’apport des enzymes qu’il contient, essentielles pour transformer les sucres complexes des céréales en sucres fermentescibles lors du brassage. Pour compléter, Romain utilise des enzymes exogènes issues d’Aspergillus niger, une méthode à la fois plus efficace et plus écologique (voir notre article : Le Koji en question pour creuser ce sujet).
La fermentation, étalée sur sept jours, se déroule en deux étapes. Dans un premier temps, le wash est ensemencé par les levures (Saccharomyces cerevisiae) directement dans la cuve de brassage. Les matières solides, encore riches en sucres fermentescibles, décantent naturellement au fond. Après trois jours, un transfert de cuve est effectué par pompage, remettant les matières solides en suspension et relançant l’activité des levures pour trois à quatre jours supplémentaires. Après une semaine, le wash atteint un degré alcoolique compris entre 8 et 10 %.
L’alambic, conçu localement (à une centaine de kilomètres, précisément) par la SOFAC à Condom, est une colonne de 500 litres dotée de huit plateaux et d’un agitateur permettant une distillation sur lie à feu nu. La distillation s’effectue en une seule passe, avec une coupe des queues à partir de 45 %. Le cœur de chauffe est récupéré à 70-72 %, tandis que les queues sont recyclées dans la distillation suivante.
Les drêches, collectées dans la fosse sous l’étable, sont pompées et épandues sur les champs, bouclant ainsi un véritable cycle agricole vertueux.
Côté vieillissement, la distillerie dispose d’une ancienne grange non climatisée. « Sur cette partie, je ne maîtrise pas grand-chose, et c’est tant mieux, car je veux aussi laisser une part au hasard ! » déclare Romain avec enthousiasme.
L’amplitude thermique du chai reste modérée, avec une part des anges oscillant entre 2,5 et 3 %. L’enfûtage s’effectue à 70 % en barriques neuves de chêne français (pédonculé et sessile), mais quelques fûts neuf de chêne américain sont également utilisés. Il faut aussi ajouter des ex-fûts de rhum (HSE, Plantation), ou de bourbon pour les finitions.
Les Initiales B et R
En décembre dernier, la distillerie a lancé ses deux premiers whiskies :
Initiale B – 45%
|
Initiale R – 45%
|
Déjà doté d’une forte personnalité, les whiskies de Labarrère 1773 étonnent par leur maturité ! Initial B est particulièrement gourmand et accessible, y compris pour des néophytes tandis qu’Initial R brille par sa complexité.
« Initiale B, vieilli en fût de bourbon, s’adresse à ceux qui recherchent rondeur et accessibilité, tandis qu’Initiale R conviendra davantage aux amateurs avertis, voire aux professionnels. » Explique Romain
Et le nouveau distillat, aux notes complexes mêlant des accents végétaux, céréaliers et une douceur subtile, allant presque jusqu’à évoquer un distillat de canne à sucre, annonce de futurs grands whiskies. Une chose est sûre : le whisky Labarrère n’a pas fini de faire parler de lui !
Pour aller plus loin, découvrez la page : Labarrère 1773