On ne présente plus le Domaine des Hautes Glaces, ferme distillerie fondée en 2009 et perché à 896 mètres d’altitude dans le massif du Dévoluy. Après huit années au cours desquelles le domaine s’est construit une solide réputation, whisky-francais.com vous propose de faire le point en compagnie de Frédéric Revol, ingénieur agronome et fondateur du Domaine des Hautes Glaces. Place à l’interview :
- Lorsque le Domaine des Hautes Glaces a vu le jour, l’une volontés affichées était de traquer la notion de terroir dans le whisky. Où en sommes nous huit ans après ?
Frédéric Revol : Huit ans après nous continuons de traquer cette notion fondamentale, nous avançons patiemment sur ce chemin et la traque continue. Nous avons créé un lien à notre terre: toutes les céréales viennent de chez nous depuis le début et nous sommes capables de relier chaque distillat à une de nos parcelles d’exploitation.
De ce fait, nous sommes aujourd’hui en mesure d’identifier dans nos chais un effet millésime: chacune des moissons semble avoir des caractéristiques organoleptiques propres et il est possible des les distinguer. Cet effet est bien sûr différent selon chacune des variétés de céréales que nous utilisons, qui elles-mêmes ont leurs propres qualités… Nos sens sont en éveil mais la question est vaste !
Néanmoins nous pensons qu’il pourrait exister dans le whisky des notions similaires à celle du cépage et du millésime dans le vin. Ce n’est toutefois que le début : dans le vin ces notions se sont affirmées peu à peu grâce aux nombreux vignerons qui se sont intéressés à ces notions, les ont trouvées pertinentes et rendues lisibles auprès des dégustateurs, qui, dans le temps et à force de déguster, ont appris à les reconnaître, à les identifier, à questionner les vignerons et à les promouvoir.
Il faudrait donc que l’on soit plus nombreux dans le monde de whisky à adopter la même démarche, de manière authentique, transparente et exigeante pour que la matière première et le terroir fassent sens (gustatif et intellectuel) de manière plus globale…
De plus, le whisky est un produit très transformé, et ces effets millésimes ou variétaux peuvent aussi être effacés par la manière dont nous travaillons. Au Domaine, nous maltons, nous brassons, nous fermentons, nous distillons, nous élevons dans l’optique de chercher à mettre en lumière les subtilités de la matière végétal qui est à la base de nos whiskies. Mais nos pratiques sont uniques. Ce n’est pas dit qu’un autre producteur, quand bien même il aurait une bonne vision de l’origine de ces céréales, obtiennent des résultats sensibles : le process peut à la fois exacerber les qualités de la matière première ou au contraire les écraser.
- La notion d’artisanat revient souvent dans le monde du whisky. Qu’est ce que ce terme signifie pour vous ? Quels paradoxes soulève t’elle ?
C’est vrai qu’avec le terroir, l’artisanat est un autre mot valise, de plus en plus employé dans les discours, mais qui lui aussi recouvrent à mon avis des réalités bien différentes. ce terme m’interroge ; je n’ai pas de définition toute faite. On a souvent tendance à l’associer à la taille: le petit artisan contre la grand producteur. Cette vision me semble en tous cas trompeuse. J’ai eu l’occasion de visiter Bruichladdich récemment. On peut dire qu’ils produisent du whisky en quantité, ce ne sont pas des petits artisans. Pourtant chez eux, tout est manuel, il y a quelqu’un tout le temps et partout pour vérifier, ajuster les choses, et garantir la qualité de leur produit. A l’inverse on voit beaucoup de microbrasserie/distillerie où tout est automatique ; les process ont été mis au point par les fabricants d’équipements et sont répliqués d’une unité de production à l’autre. Il y a une seule personne pour tout gérer, qui certainement se nomme lui-même « artisan », mais au final, il appuie sur un bouton et n’apporte que très peu de valeur sur la qualité du produit. lequel des 2 modèles est le plus artisanal ?
Il me semble que l’artisanat a ainsi à voir avec l’intelligence que des hommes mettent à élaborer fièrement un produit : intelligence des sens, des gestes, des pratiques au quotidien.
il me semble que l’artisanat a aussi un lien avec la notion d’autonomie. Pour moi les artisans sont capables de fabriquer par eux-mêmes. Là encore, lorsque que vous achetez votre malt à une filière industrielle comme c’est le cas de presque tous, que vous ne maîtrisez pas ou peu le fonctionnement de votre brasseur ou de votre alambic, que vous êtes donc dépendant en tous points de votre process, que vous reste-t-il d’artisan à part la prétention à l’affirmer !
- Vous venez de sortir un single cask en fût de Condrieu, y a-t-il d’autres pépites qui sortiront prochainement dans les chais du domaine ? Un whisky de grand épeautre ?
L’homme est fait de paradoxe ! Si nous explorons les whiskies sous l’angle de la céréale dans nos cuvées Moissons, nous avons aussi quelques expériences de rencontres entre nos eaux-de-vie de céréales et des fûts de vin français, des vieillissement intégraux où se crée une histoire commune et unique. c’est le cas d’Ampelos, l’élevage en fût de Condrieu que tu évoques. Mais il y en aura d’autres : nous venons d’embouteiller « Minimus », le petit denier (110L) de la moisson 13.
De manière générale, le travail en lien avec la terre et la matière première reste notre priorité. Nous avons effectivement en chais quelques whiskies d’épeautres mais peu à peu commence aussi à se dessiner ce que pourrait être une gamme parcellaire avec des expressions fortes et typiques. Il faudra quand même encore un peu de patience avant qu’on décide de les sortir de nos chais pour les mettre en bouteille mais c’est sûr le temps viendra !
Un grand merci à Frédéric pour cette interview et bonne continuation au domaine des hautes glaces dans sa passionnante quête.
Crédit photo : http://hautesglaces.com , pixabay.com