Si la France n’est pas encore internationalement reconnue pour son whisky, nul doute qu’elle l’est pour sa riche tradition fromagère ! Avec plus de 1 200 variétés, le fromage est un élément incontournable de la gastronomie française qu’on accompagne souvent de vin mais puisque désormais, nous produisons aussi du whisky, ne pourrions-nous pas tenter des accords plus audacieux ?
Une idée pas si saugrenue si l’on en croit Salvatore Mannino, expert à la Maison du Whisky ! Depuis 2017, Salvatore travaille avec la Maison Quatrehomme dans le cadre des Académies LMDW, sur la thématique Whisky et Fromage (l’une des plus populaires du programme). Une masterclass de deux heures dans laquelle 5 whiskies de styles différents rencontrent 5 fromages de familles toutes aussi différentes.
Fromager affineur depuis 1953, la réputation de la maison Quatrehomme grandit lorsqu’en 2000, Marie Quatrehomme devient la première femme Meilleur Ouvrier de France. Son fils Maxime, et sa fille Nathalie, s’occupent de la boutique historique (1949) située au 62 rue de Sèvres. Ils représentent la quatrième génération de fromagers. Parole à Salvatore Mannino et Maxime Quatrehomme pour découvrir les coulisses derrière l’élaboration de ces accords !
SALVATORE (S) : Comment procédez-vous pour élaborer ces accords ? Combien êtes-vous pour déterminer ces choix ?
MAXIME (M) : Nous sommes deux à trois personnes, un petit groupe permet une consensualité plus directe, évitant ainsi que l’on s’éparpille. Ce que l’on recherche avant tout, ce sont des accords qui changent des classiques. La dégustation des whiskies se fait à l’aveugle (même si des indications sur les styles et la provenance des whiskies sont fournies), de manière à voir quelles notes en ressortent (le cuir, le chocolat, les fruits, etc ..) Il arrive que parmi les 5, il y en ai un qu’on adore le plus, un autre que l’on aime moins, puis au milieu, les trois autres). Nous sélectionnons 2-3 associations qui sont soumises à Salvatore et qui décidera du choix final (Note de Salvatore : je me range toujours à leur premier choix, tant il est pertinent). Les accords peuvent être classiques mais nous privilégions l’originalité. Ce qui compte avant tout, c’est LE GOÛT, l’accord porte sur les associations qui se complètent mais qui jouent aussi le grand écart, les opposés. Ce que l’on recherche, c’est le « 1 + 1= 3 ».
S : Est-ce que la texture des deux éléments, leur interaction comptent aussi ?
M : Oui, c’est important, par exemple si le whisky propose des notes sucrées, qui épaississent le palais, on cherchera un accord avec un fromage qui apportera de la fraîcheur. Mais il n’y a pas de règles. Mais si le ressenti de l’alcool est important, trop marqué, il n’y a pas d’intérêt et l’accord sera impossible. Encore une fois, c’est le goût qui compte, si « c’est bon, c’est bon ! » C’est là que le produit devient intéressant. Bien sûr, nous n’avons pas tous le même palais. Les accords suivent une mode : il fut un temps on privilégiait le vin rouge avec le fromage, puis on est passé au blanc et ainsi de suite.
S : Après toutes ces sessions, y a-t-il, selon vous, un type de whisky ou de fromage universel dans ces accords ?
M : Oui, des fromages comme un vieux Gouda, un vieux Comté ou un Brillat Savarin – gras et doux – peuvent s’accorder avec pas mal de whiskies, on rentre alors dans l’équation « 1+1=2 »
S : L’une des vedettes dans ces accords auprès du public des Académies est le whisky Japonais Nikka From The Barrel (NFTB) avec le Charolais affiné par vos soins avec ce même whisky : depuis quand et comment vous est venue l’idée de sa conception ?
M : Pour les affinages, je ne suis pas porté sur les vins, je préfère les alcools plus forts. Une amie qui travaillait pour la Maison du Whisky, m’a offert un jour un Nikka Taketsuru et le NFTB qui m’a tout de suite paru intéressant. D’autant plus que le Charolais figure dans le top 3 des fromages de chèvre pour l’affinage. Le côté fumé rend aussi son élaboration intéressante. Au début, lorsque j’ai proposé l’idée, on me disait que cela ne marcherait pas mais après plusieurs essais infructueux (coupé à l’eau, percé…) – on joue au chimiste – la recette a été trouvée : j’utilise le NFTB pur, le fromage est littéralement noyé dans le whisky pendant 24/48 heures, il est frotté, séché puis fumé au fumoir traditionnel. C’est du travail et du temps (une semaine). Le résultat conserve les saveurs des 3 éléments, whisky, fromage et fumée. Aujourd’hui je réfléchis à l’utilisation de l’absinthe pour ce même type de procédé.
S : Considérez-vous l’accord whisky-fromage plus riche (variété, goût/texture) que celui avec le vin ?
M : Pas plus riche, différent. Il est indéniable que ce qui lie le vin avec le fromage, c’est la notion de terroir, fortement ancrée dans ces deux familles. Ce n’est pas le cas du whisky, je trouve que c’est ce qui pêche dans cet alcool.
Nul doute que le travail initié par les producteurs français sur la recherche du Terroir dans le whisky devrait ouvrir de nouvelles perspectives et faire du whisky une véritable alternative au vin au moment du fromage ! La marque de négoce VERSION FRANCAISE vient justement de lancer une série baptisée Céréalis (céréales en latin) pour laquelle, la Maison Quatrehomme propose ses accords. Version Française Céréalis, c’est une gamme de quatre whiskies, tous issu d’une colonne Armagnacaise, qui font la part belle aux matières première les plus fréquemment rencontrées dans l’industrie du whisky : Le blé, indispensable à la confection des Blends, l’orge, la céréale reine nécessaire pour obtenir l’appellation single malt, le maïs, cher aux américains et le seigle, céréale rustique mais oh combien aromatique qui fait son grand retour sur la scène du whisky.
Ainsi, Triticum 2018, un whisky léger issu à 100% de blé malté et élevé 5 ans en fut de cognac s’accommodera parfaitement d’un Salers tradition.
Hordeum 2019, un whisky d’orge malté (variété Scarlett) élevé en fut de chêne neuf à gros grain se déguste accompagné d’un Comté de 24 mois ou d’un Galoche au thym pour les plus audacieux ! ( Un fromage de brebis fermier au lait cru produit dans la région de Loches qui porte ce nom car sa forme rappelle celle de ces chaussures anciennes).
Zea Mais 2014, un whisky composé de 51% de maïs et de 49% d’orge et élevé a l’américaine, dans des fut de chêne blanc intensément bousiné est un excellent partenaire pour du chèvre (Picodon frais), ou encore, pour du fromage de brebis (brin du maquis).
Enfin Version Française Secale 2013, un whisky de seigle (51%) et d’orge malté (49%), élevé pendant 10 ans en fut de chêne neuf du Jura (grain fin), accompagnera à merveille une Tome de Bauges ou même un Bleu de Causses pour les amateurs de sensation forte !