Dans un précédent article, nous montrions comment le fait de dissocier le brassage de la distillation pouvait contribuer à maintenir en vie une tradition séculaire : la distillation ambulante.
Ce modèle de production alternatif, totalement à rebours du modèle Ecossais ou une distillerie inclut nécessairement une brasserie, est aussi à l’origine d’une nouvelle activité brassicole, voire d’un nouveau métier : la production de wash à façon.
Historiquement, c’est la brasserie METEOR qui a été la première à alimenter des distilleries en Wash, notamment en Alsace avec les distilleries Lehmann et Hepp. Plus récemment, la brasserie Fondamentale (LBF) située dans le Loiret a également développé son activité de production de Wash à façon avec ses cuves de fermentation de 60 hl à 240 hl.
A Angoulême, en 2022, c’est une nouvelle brasserie nommée Salem brewing Company qui a fait de la production de Wash son cœur de métier. Le parcours d’Aurélien Camandone, co-fondateur de l’incontournable Brasserie La Débauche, illustre bien la valeur ajoutée que peut présenter cette nouvelle activité !
Un autre modèle de production
2/2 – Les producteurs de Wash
Le Whisky Français : Bonjour Aurélien, comment passe-t-on de la production de bières artisanales à la production de Wash pour whisky ?
Aurélien Camandone : Il y a trois facteurs principaux qui ont influencé ma décision.
D’abord, un véritable intérêt pour le produit ! J’ai eu une période où je m’intéressais au rhum, mais en réalité, le whisky a toujours eu ma préférence ! Et puis, je maîtrisais déjà une partie du processus, il ne manquait pas grand-chose pour faire du whisky. Il faut dire que, plus que le Houblon, c’est le grain qui était au centre avec la Débauche ! Notre spécialité c’était des bières axées sur la céréale, avec des bières noires ou franchement maltées, en un sens, j’avais 10 ans d’expérience dans la production de Wash.
Ensuite, nous faisions déjà des « barrel aged » et des eaux de vie de bières vieillies avec La Débauche. Très vite, l’élevage et le rapport du produit au temps m’ont énormément intéressé. L’univers du chai, la barrique, le bois, ce sont des choses nobles qui m’ont toujours fasciné !
Enfin, le troisième aspect est l’opportunité. Étant proche de Cognac, j’avais une demande des acteurs de la filière. L’appareil productif disponible à Cognac est colossal ; je ne pense pas qu’il y ait une autre région avec une telle capacité de production. Comme les producteurs ne disposaient ni de brasserie ni du savoir-faire qui va avec, la production de Wash à façon paraissait évidente. D’autant que.je m’entendais bien avec plusieurs producteurs et que cela faisait un moment que nous faisions des tests ensemble. Clairement j’avais donc une valeur ajoutée car j’étais capable de proposer des produits hors du cadre conventionnel. J’ai toujours trouvé que “faire très bien la même chose que les autres”, c’est bien mais ça reste “faire très bien la même chose que les autres”! C’est toujours mieux quand tu arrives à proposer une véritable identité, que ce soit dans le produit ou dans le visuel, c’est ce qui a fait la réussite de la Débauche d’ailleurs ! Que ce soit le packaging ou le goût, une Débauche c’était une Débauche ! Et puis travailler pour les autres me convenait bien, je ne voulais pas proposer une marque propre de whisky, du moins pas au début…
LWF : Où sont tes clients ?
AC : On a un gros vivier de clients à Cognac mais on a aussi pas mal d’armagnacais ! Et puis on a quelques clients épars en France qui sont parfois des cultivateurs qui ont des céréales atypiques. Tiens, dernièrement on a brassé un Wash avec du riz complet !
LWF : Puisque tu en parles, c’est quoi les céréales qui te plaise le plus ?
AC : Ces derniers temps j’aime bien le seigle, cette céréale donne l’opportunité de créer des whiskies avec une identité très marquée ! Après j’aime toujours le maïs avec son côté généreux flatteur gras et rond ! L’orge c’est génial car les possibilités sont immenses en jouant sur les variétés, le touraillage, la torréfaction.
Au-delà de la céréale, le choix des levures est essentiel ! Pour moi c’est quelque chose de prédominant dans l’identité des eaux de vie. On a travaillé énormément de céréales, Orge, Maïs, seigle, triticale et dès que tu changes de levures tu te retrouves avec un résultat complètement différent.
En fait ce qui compte c’est la combinaison levures/céréales et il faut parfois prendre son temps en fermentation. A Salem Brewing Company il peut arriver qu’on prenne trois semaines de fermentation si nécessaire ! On a même essayé des fermentations basses (lager) ce qui est, à ma connaissance, inédit dans le monde du whisky.
LWF: Quel est ton avis en tant que producteurs de wash et brasseur sur l’essor du whisky français ?
AC: Je ne peux pas me permettre d’être pessimiste (rire), plus sérieusement pour moi le whisky français n’a pas d’avenir si notre seul argument c’est d’être français. Mon angle d’attaque c’est de proposer quelque chose qui a un vrai caractère ! Ça me rappelle une anecdote ! Une fois, au fin fond de mon silo à grain qui avait pris l’eau, il y avait une grosse masse de grain pleine de champignons. Je m’en suis servi pour amorcer une fermentation de Wash, c’était étonnant, ça ressemblait aux fermentations de rhum dans lesquelles on utilise la méthode du muck pit ! En fermentation on avait une espèce de truc de toutes les couleurs, pas engageant du tout ! Je l’ai distillé et ça a donné un super résultat, ça ressemblait à du rhum bien que la céréale reste identifiable au palais ! Je ne dis pas qu’il faut le boire comme ça mais 5% dans un assemblage ça marche très bien. Sans le vouloir, on a fait le High ester du whisky, une méthode très artisanale mais sacrement efficace. D’ailleurs, au-delà du whisky français, je dirais que les spiritueux artisanaux ont de beaux jours devant eux.
LWF : Tout cela ne t’a pas donné envie de lancer ta marque de whisky ?
AC: Rien n’est certain mais on a bien un produit qui a un an et demi et qui est excellent. Il y est entre autres question de malt très atypiques et de fût de bourbon. On refait le point dans un an et effectivement, on pourrait bien le commercialiser dans la foulée !
Merci Aurélien, affaire à suivre donc !