Un autre modèle de production – Les distilleries Ambulantes

Si l’essor du whisky français est aussi passionnant, c’est probablement grâce à son étonnante diversité et à l’infatigable créativité de ses acteurs. Initié en 1983 par Gilles Leizour et la distillerie Warenghem, le whisky français s’est d’abord inscrit dans la filiation de son grand frère écossais.

En effet, quand Gilles se lance, il s’appuie sur les siècles d’expertises accumulées outre-manche, il opte pour des pot still à l’écossaise et une politique de vieillissement traditionnel (à base de fût de sherry et de fût de bourbon). 

Puis rapidement, le whisky français s’affranchit du modèle écossais. La distillerie des menhirs travaille le blé noir, Sébastien et Céline Castan utilise un alambic à vase, la distillerie Warenghem s’intéresse au chêne neuf breton etc….

Parmi toutes ces innovations émergent un modèle de production alternatif dont l’important potentiel n’a pas encore été pleinement exploité et qui repose sur une idée simple : dissocier le brassage de la distillation et rechercher le meilleur à chacune de ces étapes. Une segmentation de la production totalement à rebours du modèle Ecossais ou une distillerie inclut nécessairement une brasserie.

Dans ce premier article, nous allons nous intéresser aux distilleries ambulantes, puis dans un second article, nous nous intéresserons aux producteurs de Wash à façon.

Un autre modèle de production

1/2 – Les distilleries Ambulantes 

Au début du XXe siècle, la France compte trois millions d’exploitants agricoles disposant de ce qu’on appelle alors, le privilège de bouilleur de cru. Remontant à 1806, ce privilège consiste en une exonération de taxes sur les 10 premiers litres d’alcools purs ce qui se révèle particulièrement incitatif pour les tenants du privilège qui ne manque pas de contacter le bouilleur ambulant régulièrement pour produire quelque litre de gnole avec une partie de leur fruit. Autour de cette tradition qui voit des alambics sillonner les campagnes françaises s’organise toute une filière de bouilleur ambulant mais aussi de chaudronnier.

Seulement voilà, cette exemption représente tout de même un manque à gagner pour l’État d’environ 20 milliards de francs, de plus, la qualité des productions n’est pas réellement encadrée et on ne peut pas nier que certaines gnoles mal distillées aient eu un effet délétère sur la santé des Français. Enfin, nul doute que cette manne ait été particulièrement attractive pour les gros faiseurs et leurs lobbies.

Quoi qu’il en soit, le 30 Août 1960, le gouvernement de Michel Debré, publie une ordonnance mettant fin au privilège de bouilleur de cru. Une décision dont l’impact sur la filière ne tardera pas à se faire ressentir. Le nombre de distillateurs ambulants diminue drastiquement, les chaudronnerie Coyac à Nantes, Blavier a Bourges et bien d’autres cessent leur activité de construction d’alambic ou mettent tout simplement la clef sous la porte. Dès lors, la tradition du bouilleur ambulant ne subsiste plus que de façons résiduelles à l’exception de la Gascogne ou se modèle reste assez commun pour la production d’armagnac.

Bref, l’affaire semble pliée et le modèle de la distillation ambulante semble inexorablement voué à l’extinction, à moins que !

Du distillat de whisky s’écoule de l’alambic COYAC de Gilles Boudier, Bouilleur Ambulant dans le Maine-et-Loire

L’arrivée du whisky Français

En 2011, Vincent Gachet, alors patron de la brasserie Mandrin à Saint-Martin-d’Hères décide de produire du whisky. Plutôt que d’investir immédiatement dans un alambic, il fait appel à Gilles Gaudet, l’un des derniers bouilleurs ambulants de la région. Ensemble, ils produisent deux fûts de whisky appelé à devenir mythique de par leur qualité et leur rareté (voir ici et la). Un peu plus tard, en 2017, Cédric Ollier et François Papin font également appel à Gilles pour la distillation de Tanargue !

De l’autre côté de l’hexagone, les agriculteurs brasseur de la Bambelle font également le choix de la distillation ambulante lorsqu’ils contactent Dominique coudé pour la production de leur whisky !

Un choix qui tombe sous le sens : Pourquoi investir dans une unité de distillation pour produire moins d’une vingtaine de fût par an ? Pourquoi ne pas plutôt se concentrer sur la qualité du Wash et sous traiter la distillation à ceux dont c’est le métier ?

Le Whisky MADAM du domaine Guillot-Gonin

En Rhône-Alpes, Pascal Nalin et l’équipe de la brasserie Terre de Bières incarnent à merveille cette séparation des expertises. L’un distille, l’autre brasse permettant aux deux entités de proposer un whisky singulier. Le Domaine viticole Guillot-Gonin (Whisky Maddam) à bien compris le potentiel de cette séparation des métiers. Désireux de valoriser la qualité de ses fûts de Bourgogne, il achète un moût de la brasserie Terre de bière, sollicite les talents de Pascal Nalin et produit ainsi un whisky en ne maîtrisant que l’étape du vieillissement.

Ainsi, le modèle de la distillation ambulante trouve ici une véritable raison d’être et surtout, un véritable potentiel à même d’endiguer le déclin de la profession. Et ceci d’autant plus que depuis le 1er  janvier 2024, le futur des bouilleurs ambulants s’est un peu éclairci avec l’adoption d’une évolution réglementaire exonérant les bouilleurs de cru de taxe sur les 50 premiers litres d’alcool pur produit !

Avis aux brasseurs

La France compte aujourd’hui près de 2 300 brasseries artisanales alors qu’elles étaient moins de 500 il y a seulement 10 ans. Produire un brassin à distiller répond à des exigences spécifiques mais reste relativement simple comparé à la production de bière de consommation. 

En somme, il existe en France un potentiel de 2 300 brasseries qui, sur le modèle de La Bambelle, de Mandrin, de Terre de bière et d’autres.. pourraient de plus en plus faire appel à des bouilleurs ambulants apportant ainsi un débouché économique à un métier qui semblait voué à l’extinction.

Le Syndicat National des Bouilleurs Ambulants qui à pour mission de fédérer les distillateurs de toutes les régions de France propose sur son site la carte ci-dessus qui atteste que, même si le nombre d’acteurs à diminué, le maillage territorial reste conséquent !

 

 

Crédit photo de couverture : Darmesh Varane – Pascal et Tanguy Nalin devant l’alambic ambulant