Anciennes variétés : les « cépages » du whisky ?

Lorsque que l’on se rend chez le caviste pour faire l’acquisition d’une bouteille de vin, le cépage intervient immanquablement dans la discussion. De même quand il s’agit de cognac ou d’armagnac ! Pourtant dans le whisky, il est très rare qu’un vendeur vous vante les propriétés organoleptiques de l’orge Lauréate, de la Vanessa ou même de la Planet. Pourquoi ? N’est-ce pas là une information intéressante pour le consommateur ? D’ailleurs, la variété a-t-elle seulement une influence sur le goût ?

Approche industrielle vs approche artisanale

Un premier élément de réponse à cette question tient probablement à l’origine du whisky ! Toutes les nations n’ont pas la relation singulière à la matière première qui existe en France, après tout le terroir est une notion française ! Or, je ne vous apprends rien, le whisky vient d’Écosse (A moins que les Irlandais ne retrouvent un document datant d’avant 1494*), pays où le pragmatisme a conduit les distilleries à faire des économies d’échelle en faisant grossir sensiblement les unités de production. Rappelons le, nous avons beau nous targuer d’avoir près de 150 producteurs en France, mis bout à bout, la production française équivaut à peine à 20% de la production de la distillerie Glenlivet seule.

Cette vision industrielle développée outre-manche a aussi conduit les distilleries à améliorer sans cesse les rendements, que ce soit par l’amélioration des levures ou par la création de nouvelles variétés d’orge. Ainsi dès 1989, le Plant Breeding International de Cambridge, fraîchement privatisé par Margaret Thatcher, crée une nouvelle variété nommée Optic qui se distingue par sa richesse en enzymes et amidon et son excellent rendement. Outre-manche, une bonne orge est donc une orge dont le rapport entre prix et rendement alcoolique est optimal. Optic se développe très rapidement et devient dominante dans la production de whisky jusqu’à ce qu’en 2009, l’orge Concerto, issu du même institut la remplace pour les mêmes raisons.

Pendant ce temps-là, en France, les producteurs (et les malteries) se sont d’abord portés sur des orges de Brasserie (par facilité, RGT Planet étant la plus facilement disponible) mais certains d’entre eux ont très rapidement soulevé la question de la matière première. L’orge de printemps Lauréate, une variété d’orge de distillerie non Gn** gagne du terrain, la Vanessa, le Bere Barley, la calypso etc… sont semées ici et là. En France, une bonne orge est avant tout une orge qui a un bon goût, la question du rendement est secondaire et pour cause, le whisky français se concentre sur le haut de gamme (>40€), de fait, les petits volumes de production et les prix pratiqués autorisent l’acquisition d’une matière première plus onéreuse. Inversement, quand votre unité de production produit 10 500 000 litres d’alcool pur par an (pour reprendre Glenlivet), une différence de rendement de l’ordre de 0,1% représente tout de même 30 000 bouteilles !

Le château du Breuil, où la question de la variété est au centre des réflexions

Les anciennes variétés

 Ces éléments de contexte posé, la question de fond demeure ! La variété d’orge retenue a-t-elle seulement une influence sur le goût ?

En se focalisant sur le rendement, les Ecossais ont développés des orges dont les grains sont devenus plus volumineux. En voulant maximiser la production d’alcool, l’industrie à fait en sorte d’augmenter le taux d’amidon contenu dans l’endosperme (l’intérieur du grain). De fait, la part d’enveloppe (et d’aleurone), particulièrement riche en micronutriments, lipides, protéine et autre sel minéraux, y est donc relativement moins importante que dans les anciennes variétés. Or, vous me voyez venir, c’est précisément dans cette partie du grain, l’enveloppe et la couche à aleurone, que réside les qualités organoleptiques et la singularité de chacune des variétés d’orge.

Sur un plan théorique, l’orge ne saurait se résumer à un simple sac d’Amidon et la variété doit donc avoir un impact sur le goût, en particulier sur les anciennes variétés d’orge.

De façon plus empirique, le travail mené par le domaine de la Pèze dont nous vous parlions récemment semble aller dans ce sens mais c’est en Normandie que l’expérimentation sur les variétés a été poussée le plus loin.

La Spiriterie Française 

Au château du Breuil, Philippe Etignard travaille avec plusieurs orges distinctes. En 2016, il commence par la Golden Promise, puis en 2019, après la rencontre avec l’association Triticum (Une association œuvrant pour le maintien de la biodiversité cultivée et pour la résilience alimentaire en Normandie) il étend sa sélection d’orge. A la Golden Promise s’ajoutent les variétés Chevallier, Plumage Archer, Aurore ou encore Maris Otter.

Après plusieurs années, la distillerie est ainsi à même de proposer trois single malts issus de trois orges distinctes, brassée, distillée de la même façon et tous les trois élevée trois ans en fût de Bourbon. Le résultat est sans appel, les whiskies sont très différents les uns des autres !

Golden Promise : Sélectionnée en 1960, la Golden Promise est une orge mythique qui a fait les grandes heures de Macallan et Karuizawa. Particulièrement ample et raffiné, elle dessine un whisky caractérisé par des notes de malt frais et de fruits à chair blanche (pêche et poire), rehaussés par des saveurs de tilleul, de vanille et de fruits secs (raisins de Corinthe).

Maris Otter : Sélectionné en 1966, le Maris Otter est une variété d’orge héritage déjà plébiscité par la distillerie Glann ar Mor à l’époque de Jean Donnay. Elle signe ici un single malt chaleureux et rustique avec un caractère franchement malté. Loin d’être dénué de complexité, le whisky regorge d’épices douces accompagné de sucre brun caramélisé, de cacao et de fruits compoté (poires, pomme).

Chevalier : Sélectionnée en 1820, cette variété est une orge qui a marqué les whiskies du XIXᵉ siècle par sa richesse aromatique et son intensité en bouche. Elle livre un whisky particulièrement riche et élégant qui s’ouvre sur des notes de coing et de poire rehaussé d’arômes floraux (rose) et d’une touche de vanille. Complexe, le single malt évolue vers les fruits secs et les fruits à coque (noisette) avant de conclure sur de belles notes exotique (ananas, Kaki).

Après deux décennies où l’industrie du Single Malt a cherché à se diversifier quasi exclusivement par le vieillissement, le château du Breuil, dans le sillage d’autres distilleries en France et ailleurs, contribue ici à un nouvel axe d’exploration passionnant ! Cerise sur le gâteau, en réhabilitant d’anciennes orges moins gourmandes en eau et moins dépendantes aux engrais et aux pesticides, le Château du Breuil participe au rétablissement de la biodiversité agricole. Que demander de plus !

La distillerie du Château du Breuil

 

*Les Ecossais s’appuient sur un document officiel de la chambre des comptes daté de 1494 dans lequel il est donné à Frère John Cor huit balles de malt pour fabriquer de l’eau-de-vie pour le roi d’Écosse.

** Une orge non GN est une orge non productrice de glycosidique-nitrile. Cette substance, en présence d’éthanol et au contact du cuivre, produit du carbamate d’éthyle dont le taux est encadré, notamment sur les marchés nord-américains (USA, Canada).