Les whiskies bretons, déjà collectors ?

Voilà désormais plus de quarante ans que la France produit du whisky mais, si l’on regarde attentivement, on constate que c’est au cours des dix dernières années que la production a véritablement pris de l’ampleur. C’est particulièrement éloquent lorsqu’on regarde l’évolution du nombre de distilleries productrices de whisky en France : en 2000, on comptait sept producteurs, en 2010 une vingtaine, en 2015 on approchait des quarante, et aujourd’hui ce sont plus de 180 producteurs qui font vivre cette catégorie ! L’histoire du whisky français, bien que particulièrement dynamique, est donc encore récente.

Néanmoins, certains embouteillages des précédentes décennies commencent à prendre de la valeur, et la catégorie voit peu à peu émerger ses premiers véritables collectors sur le marché secondaire. Pour preuve, la Bretagne, qui, dès 1983, a ouvert la voie au whisky français, est à l’honneur de la nouvelle vente organisée par Fine Spirits Auction. L’occasion de revenir sur certains flacons iconiques qui ont d’ores et déjà fait l’histoire du whisky breton et que l’on retrouve dans cette sélection !

« Un collector, c’est un whisky qui, parce qu’il marque l’amateur, passe à la postérité, et a fortiori quand il est rare et bon ! »

Salvatore Mannino, Bar Manager du Golden Promise Whisky Bar

 

Le pionnier et les négociants

Dans le monde du whisky, la reconnaissance d’une distillerie passe souvent par le travail des embouteilleurs indépendants. Être sélectionné par ces intermédiaires, véritables passeurs entre les distilleries et les amateurs avertis, constitue un gage indéniable d’excellence.

Ces embouteilleurs choisissent avec soin les fûts qu’ils jugent les plus remarquables, offrant ainsi une lecture singulière du savoir-faire et de l’identité des distilleries.
Aussi, il n’est guère étonnant que la distillerie Warenghem, pionnière du whisky français, dont la réputation n’est plus à faire, ait fait l’objet de plusieurs embouteillages indépendants. C’est notamment le cas des trois batches signés That Boutique-y Whisky Company qui, chacun dans son style, donnent un large aperçu des productions de la distillerie de Lannion.

Le Batch 1, un Armorik single malt de 7 ans, vieilli en fût de chêne neuf breton, se distingue par ses notes douces de vanille, de fruits à coque et de pain complet, relevées d’épices légères et d’une touche de prune jaune.Le Batch 2, élevé 5 ans en fût de Sauternes, dévoile quant à lui un profil fruité et équilibré, mêlant pommes rouges, prunes et zestes d’orange, avant une bouche où s’expriment baies, rhubarbe et épices, pour une finale longue sur les fruits des bois.
Enfin, le Batch 3, un Armorik 8 ans affiné en fût de chouchen, offre un caractère plus complexe, aux arômes de fruits caramélisés et d’épices, avec une bouche mêlant miel, chêne brûlé et gingembre, et une finale persistante et chaleureusement épicée.

La distillerie a aussi fait l’objet d’embouteillages dans la gamme Version Française. Lancée en 2020 par la Maison du Whisky, cette marque de négoce, 100 % dédiée au whisky de l’Hexagone, a embouteillé plus d’une quarantaine de single casks  parmi les plus mémorable de l’histoire du whisky français et notamment deux Armorik : le fût 480, un millésime 2011 élevé lui aussi en fût de chouchen, d’une grande générosité, charpenté par un distillat impeccable et déclinant une palette aromatique allant des fruits du verger au citron confit en passant, bien entendu, par de franches notes miellées ; et le fût 3609, une barrique de sherry oloroso de second remplissage ayant accueilli un distillat intensément fumé par de la tourbe écossaise à hauteur de 45 ppm, oscillant entre tourbe incandescente, fruits confits et notes de torréfaction, il témoigne d’une époque aujourd’hui révolu ou Warenghem embouteillait des whiskies tourbé sous la marque Armorik et non Yeun Elez comme c’est le cas aujourd’hui.

Bien entendu, la distillerie a embouteillé en propre des single cask mythiques dont une partie est également disponible sur la plateforme.

 

De la Celtic Whisky Compagnie à la distillerie Glann ar Mor

Mais puisqu’on parle d’embouteillage indépendant, intéressons-nous à un second acteur emblématique du whisky breton : la distillerie Glann ar Mor (bord de mer en breton). Avant même de distiller, Jean et Martine Donnay avaient justement développé une activité de négoce avec la Celtic Whisky Compagnie, expérimentant les affinages en fûts de Sauternes et autres vins ou spiritueux français.
Rappelons qu’il faut attendre la toute fin des années 1990 pour que Glenmorangie et le Dr Bill Lumsden commencent à tester les premiers finishs. La Celtic Whisky Compagnie, fondée en 1997 par Jean et Martine Donnay, participe largement à l’essor de cette pratique ! En effet, sous la marque Celtic Connexion, on trouve les premiers essais d’affinage en ex-Sauternes, mais aussi des finishs en fûts de Monbazillac, Coteaux du Layon, Champagne et même Armagnac ! Si aujourd’hui, la pratique s’est largement rependue, ces flacons étaient considérés comme des véritables innovation, pour ne pas dire des Ovni, à l’époque !


« À l’époque, les whiskies offrant une double maturation étaient rares. Seuls Balvenie et Glenmorangie étaient présents sur le marché. L’idée m’est alors venue de proposer des whiskies d’origine écossaise bénéficiant de ce type d’élevage. »

Jean Donnay

Cette expertise d’affineur a naturellement conduit à la création, en 2004, de la distillerie Glann ar Mor, après des premiers essais en 1999. Cette distillerie, particulièrement petite, réhabilite un mode de production rappelant les distilleries d’Islay dans la première partie du XXe siècle : fermentation longue, condenseur à serpentin, chauffe directe… Bien que particulièrement confidentielle et artisanale, le wash still fait 11 hectolitres et le spirit still 6,5 hectolitres. La distillerie va largement contribuer à la crédibilité du whisky français, en France comme à l’international. 

Crédit @Thomas Leaud

Alors que l’expertise acquise via la Celtic Whisky Compagnie s’est concentrée sur le travail d’affinage et l’utilisation de fûts particulièrement actifs, c’est paradoxalement, au fil des distillations, les fûts de bourbon qui gagnent le cœur du couple Donnay.


« Rien ne vaut un bon fût de bourbon. Ce type de fût apporte ce qu’il faut à l’eau-de-vie sans la transformer. Je fais souvent le parallèle avec la photo. Les fûts exotiques sont pareils à un filtre : ils réchauffent la couleur mais perdent en nuance et subtilité, là où le fût de bourbon accentue les contrastes sans toucher à la couleur. »

Jean Donnay

À ce titre, la vente Fine Spirits Auction regorge d’embouteillages emblématique !

On ne peut pas faire l’impasse sur le premier Kornog Saint Ivy sorti en 2011, véritable morceau d’histoire. Ce single cask embouteillé à l’occasion de la Saint Yves, saint patron de la Bretagne, reflète bien le travail d’orfèvre de Martine et Jean Donnay : le nez s’ouvre sur des arômes maltés et fruités. En bouche, la texture se révèle ample et complexe, dominée par la douceur du fruit, notamment l’abricot, relevée de fines touches d’épices douces. La finale, fraîche et équilibrée, dévoile quelques nuances florales et une subtile pointe saline.

Parmi les pièces rares, toujours autour du fût de bourbon, le Glann ar Mor 2007, premier single cask de la collection Version Française (VF001), un first fill bourbon qui mêle la gourmandise des pâtisseries à la minéralité d’un bord de mer breton. La finale se montre exotique, avec des arômes de banane, de vanille et de noix de coco.

Enfin, le single cask Whisky Sponge pour les 18 ans, 4 mois et 17 jours du célèbre blog Whiskyfun mérite qu’on s’y attarde également ! Sorti en 2020, ce 15 ans d’âge dispose d’un profil vibrant et élégant, à la fois sec et salin, où la tourbe fine se marie à des notes raffinées de noix verte, de tabac, de cuir et de manzanilla, offrant une complexité subtile et un caractère maritime affirmé.


“Feels older than 15 for sure, and yet it’s totally bright, wonderfully bitter (green walnuts, mustard and manzanilla indeed) and integrally dry and peaty.”

Serge Valentin – Auteur du célèbre Blog Whiskyfun

En 2020, la distillerie Glann ar Mor est rachetée par Maison Villevert, rendant les flacons de la première période, dont plus de 80 expressions figurent dans la vente, particulièrement recherchés.

Enfin, la vente met également à l’honneur la marque Naguelann, fondée en 2014 par Lénaïck Lemaître, ancien barman, qui s’est d’abord concentré sur le négoce et l’assemblage. Puis, en 2016, Lénaïck a investi dans son premier alambic, un pot still charentais de 500 litres, rapidement rejoint par un second de 1 000 litres en 2017. En 2020, il baptise son premier whisky 100% maison Dieil, un nom qui signifie rare en breton et dont la première expression, qui figure parmi dix autres dans la vente de Fine Spirits Auction, se distingue par son caractère minimaliste, sur les céréales et une tourbe cendrée.