La distillerie du DRAC

C’est au cœur de l’Isère, à Champ sur Drac qu’en 2015, deux amis décident de créer leur propre distillerie. Ces deux mélomanes se sont approprié leurs alambics comme des instruments de musique, et cherchent aujourd’hui à en produire les plus belles « sonorités » en jonglant avec le terroir, l’authenticité et la sincérité.

Entretien avec Dorian Vieux-Pernon qui nous parle de sa philosophie :

-Comment t’es venue l’idée de distiller ?

Je suis originaire de la vallée d’Oisans dans laquelle on retrouve une grande culture de la gnôle de fruits. Elle avait sa place à table à la fin des repas et s’inscrit aujourd’hui dans la tradition de la vallée.

Beaucoup de gens possédaient des alambics chez eux, et, adolescent j’ai très vite eu envie de distiller moi-même en allant voir les vieux du coin faire leur alcool.

On aimait déjà le whisky et n’ayant pas d’argent, on achetait des bouteilles de 80€ à trois. C’est en le buvant qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on fabrique notre propre alcool !

A l’époque, Pascal travaillait dans la couverture de plomb à Édimbourg, ce qui lui a permis de gouter à beaucoup de whisky et de visiter beaucoup de distilleries.

Je lui ai demandé de revenir pour tenter l’aventure en montant notre propre structure. 

-Quelle était votre approche ?

 Tout d’abord il a fallu qu’on trouve comment s’équiper avec peu de moyens, l’idée était de monter une micro-distillerie, dimensionnée de manière à ce que tout soit faisable à deux, sans que l’on ait de contraintes d’argent ni de compte à rendre à qui que ce soit.

On voulait monter un laboratoire pour découvrir comment les choses se passaient.

On savait déjà distiller du fruit, mais le grain était inconnu pour nous. On est parti de rien mais on voulait tout faire nous-même. On a fait appel à un agriculteur du coin pour trouver une orge qui nous convenait, on l’a malté nous-même, afin d’obtenir un malt propice à un bon brassage. Dans un second temps, on a testé plusieurs fermentations.

Toutes ces étapes nous ont amenées à bâtir un véritable lieu d’expérimentation pour nous forger une identité. 

-Cette identité, dans quelles valeurs s’inscrit-elle ?

Lorsqu’on a créé la distillerie, on voulait vraiment axer notre travail vers quelque chose de vrai et de sincère. Certaines choses que l’on dit sur le whisky et la mystification que l’on en fait parfois aujourd’hui nous dérange un peu. On s’est rendu compte qu’il était fréquent que des arguments de fabrications soient avant tout des arguments marketing.

Nous voulions casser ces codes et prouver que la production d’un bon whisky ne tenait pas qu’a la qualité de l’eau, l’enrobage ou encore au story-telling.

Au contraire, le savoir-faire, l’expérience et le terroir sont au centre de notre démarche. On ne se sert que de l’orge de la vallée et nous avons renoncé à la tourbe car il n’y en a pas.

On distille dans des petits alambics originaires du coin. Bref on fait tout pour que notre whisky reflète le patrimoine et le terroir des alpes.

Ensuite, nous avons expérimenté jusqu’à ce que cela fonctionne, l’artisanat est notre maitre mot. 

-Rentrons dans le détail justement, quelles sont vos matières premières ?

 Notre orge vient de Nord-Isère, on a d’abord eu recours à des échantillons avant de choisir la bonne variété. On l’a maltée nous-même, et c’est de celle-ci qu’est fait notre prochaine gamme. Ces derniers temps, nous avons décidé de faire venir une orge déjà maltée à la distillerie pour être en mesure de comparer nos produits, en définitive nous la trouvons moins intéressante que la nôtre à cause de son caractère usiné trop parfait. On a la sensation que le malt est dopé, sans les petits défauts que génère le maltage à la main.

Une autre étape cruciale est celle de la fermentation. On ne voulait pas faire appel aux entreprises qui vendent les levures qui constituent aujourd’hui la majorité des whisky existants, c’est pourquoi nous avons cultivé des levures nous-même. Nous poursuivons d’ailleurs nos expérimentations en ce moment même, avec du petit matériel de laboratoire, du miel, des baies de genévriers, pour obtenir des fermentations spontanées !

Dès qu’on en est content, on essaye d’isoler la bonne souche et de la réutiliser. Ce procédé est assez risqué car les levures naturelles sont moins puissantes et moins rentables, en revanche elle génère une personnalité plus authentique et plus originale.

-Et pour vos brassins ?

 Nos brassins dépendent du whisky que nous souhaitons obtenir. Ce n’est pas la même méthode si on s’oriente sur un whisky que l’on souhaiterait voir vieillir plusieurs années ou si on vise un NAS (no age statement).

La distillerie possède une cuve qui permet de réaliser des brassins assez riches et intenses, en obtenant une bière entre 8 et 10°. Cette cuve nous permet également d’obtenir des brassins moins riches, ainsi on peut lier certains brassages pour obtenir le résultat escompté. A mon sens, la fermentation et le brassin sont les deux étapes cruciales pour créer un bon whisky. 

-Peux-tu me parler de vos alambics, de vos coupes ?

Nous sommes conscient que la forme de l’alambic a une incidence flagrante sur le futur whisky. Nous nous sommes dotés d’un alambic original et modulable. Un alambic qui puisse à la fois être trapus pour produire des distillats lourds ; mais qui puisse également être plus haut en y ajoutant une colonne afin de sélectionner un alcool plus raffiné.  Il ne s’agit pas d’une colonne à plateau, mais d’une colonne simple ce qui a d’ailleurs suscité de l’interrogation chez l’artisan à qui nous l’avons commandé.

On jongle entre ces différentes configurations et on joue également sur les températures de chauffe. Ainsi nous distillons à des températures élevées quand l’alambic fonctionne sans la colonne et à des températures plus basses lorsqu’on utilise la colonne.

Cette dernière option permet d’obtenir un distillat plus raffiné titrant à un degré plus élevé. Ce sont ces distillats que nous destinons a un plus long vieillissement.

Pour ce qui est de nos coupes, elles sont directement liées au brassin. Chaque brassin a sa densité propre et on va adapter nos coupes en fonction. On ne se sert que d’un thermomètre, de nos mains et de notre nez. C’est à force de pratiquer que l’on a su identifier nos têtes et nos cœurs.

Pour ce qui est des queues, lorsqu’elles apparaissent, c’est qu’il est déjà trop tard, il faut savoir s’arrêter à temps en misant sur notre expérience.

-Et pour le vieillissement ?

Ça a été un réel casse-tête, mais on s’est rapidement tourné vers un vieillissement en fût neuf pour une première expérience. Nous sommes parties du constat que les bons vins sont vieillis en fût neuf, c’est pourquoi nous avons misé sur de petits fûts de 30L de type « Quarter Cask » fabriqués en Isère avec une chauffe moyenne.

Ce petit volume nous a permis de vite voir comment le whisky évoluait en prélevant des échantillons assez fréquemment pendant la période d’affinage et ainsi isoler le moment où cette méthode de vieillissement perdait de son intérêt, le fût neuf marquant énormément le whisky (côté caramel, bonbon, très liquoreux).

C’est à ce moment-là que l’on a décidé de mettre notre première expression, BLUE IN GREEN, en bouteille, il s’agit d’une « expression » puisqu’il n’avait vieilli que 21 mois contre les 36 mois règlementaire pour obtenir l’appellation whisky.

Nous avions rempli 5 fûts de 30L, et chacun d’eux n’en contenait plus que 23 au moment de la mise en bouteille, c’est une part des anges exceptionnellement élevée.

Quant à NIGHT LIFE, notre premier whisky, il aura passé 18 mois en fûts de chêne neuf de 30L, avec une chauffe modérée, puis nous l’avons passé en fût de vin doux naturel rouge de grenat de 220L.

C’est un vin muté auquel est ajouté de l’alcool au moment de la fermentation pour laisser une part de sucre. Ces vins sont vieillis une dizaine d’années, et ce sont eux qui constituent le finish de notre nouvelle gamme.  

Nos prochains whiskies ne passeront plus par des fûts de 30L, mais par des fûts de 220L directement, mais on ne tient pas à avoir de gamme qui demeure ne pensant pas qu’il soit juste de vouloir obtenir quelque chose de linéaire en lien avec la Nature qui, par définition, ne l’est pas.

Pour nous, une orge appartient à une saison, un climat.

Pour conclure, pouvez vous nous dire un mot sur votre chai ?

Pour l’instant, nos vieillissements se font tous dans le même chais, attenant à la distillerie qui est en plaine à 300m d’altitude, et assez sec.

La température et l’hygrométrie du chai est directement liée aux conditions extérieures, ce qui était une volonté de notre part pour laisser travailler le whisky comme cela. 

A l’avenir nous avons comme projet de transférer nos fûts dans un chai beaucoup plus humide et bien plus en altitude !

 

Propos recueillis par Alex M