Les fondations du Whisky français

Du 15 janvier au 15 février, la boutique emblématique de La Maison du Whisky au 20 rue d’Anjou invite amateurs et curieux à (re)découvrir son catalogue de créations 2025, avec plus de 100 références disponibles à la dégustation. Une occasion unique de savourer des whiskies présentés lors du dernier Whisky Live Paris et d’explorer un thème central cette année : les fondations (le catalogue est baptisé « Foundations »). Ce concept, à la fois littéral et métaphorique, est pour nous l’occasion d’un retour aux sources du whisky français !

Et oui, outre les Écossais, Japonais et autres whiskies du monde, le catalogue met en lumière plusieurs producteurs de whisky français et notamment les pionniers de cette aventure ! Ceux qui ont ouvert le champ des possible à travers deux orientation en total opposition et entre lequel se situera l’intégralité des productions françaises !

Voie n°1 : Le whisky français, héritier du Scotch

L’histoire du whisky français débute en 1983, à Lannion dans les Côtes-d’Armor, lorsque Gilles Leizour, pharmacien de profession, décide de reprendre et de diversifier les activités de la distillerie Warenghem. À cette époque les Blends écossais règne en maitre, l’idée même d’un whisky japonais semblait improbable, imaginer un whisky français relevait de l’audace pour ne pas dire de la folie !

Mais Gilles est humble et pragmatique, il s’inspire directement du savoir-faire écossais. Lorsqu’il commande ses alambics à l’entreprise Pruhlo (qui sera racheté par Chalvignac) pour la création de sa nouvelle distillerie en 1993, ces derniers commencent par refuser. Gilles se rapproche alors de constructeurs Ecossais (dont l’illustre Forsyths) avant de retenter sa chance en Charente. Le chaudronnier cognaçais, alors embourbé dans une crise qui n’est pas sans évoquer celle que nous vivons actuellement fini par accepter. Gilles demande a ce que les alambics soient réalisés selon les modèles écossais et Pruhlo accepte de faire une entorse au modèle de l’alambic charentais. Après tout, ils ne sont pas en position de refuser une commande !

Salle de distribution avec à gauche, le wash still directement inspiré de celui de Glenlivet et à droite, le spirit still, à mi-chemin entre celui de Balvenie et de Kininvie © Darmesh Varane : https://www.darmeshvarane.com/

Côté vieillissement, la distillerie privilégie d’abord les fûts de bourbon et de sherry, comme en Ecosse ! Il faudra attendre plusieurs années avant que Warenghem ne décide d’explorer des options plus originales, comme les fûts de chouchen ou de chêne neuf breton.

En 1998 le premier single malt français vois le jour sous le nom d’Armorik et parmi les références proposées dans le catalogue 2025, on retrouve un millésime 2012 vieilli en fût de bourbon. Ce whisky, issu de l’ancienne recette Armorik (La distillerie utilisait alors du malt tourbé à 10 PPM), illustre parfaitement l’héritage de Gilles Leizour tout en proposant une superbe palette aromatique plutôt inhabituel pour la distillerie.

Nez : Surprenant et intrigant, ce whisky débute sur des arômes de malt torréfié, de vanille et de poire pochée. Une fine tourbe sèche et cendrée vient subtilement s’ajouter, accompagnée de touches médicinales et poivrées. Progressivement, le profil s’enrichit avec des notes de cuir, de cire, une pointe huileuse, et des accents de bois noble.

Bouche : Ronde et savoureuse. La tourbe devient plus grasse, équilibrée par des fruits juteux et acidulés (poire, reine-claude). Puis arrivent des épices subtiles (badiane, cardamome) et une légère touche fumée évoquant l’univers du barbecue.

Finale : Longue et soyeuse, avec une belle amertume rappelant le chocolat noir. Une pointe florale et une salinité caractéristique de la distillerie s’entrelacent harmonieusement. Même après un moment, le fond de verre garde une intensité marquée par des notes de bitume et de caoutchouc.

 

Voie n°2 : Le whisky français, un laboratoire d’expérimentation

En 1998, Guy Le Lay, professeur de mathématiques dans le Finistère ayant repris la distillerie des Menhirs, apporte une nouvelle vision au whisky français. Contrairement à Gilles Leizour, il refuse de s’inspirer du modèle Écossais et choisit d’innover en valorisant le terroir breton. Effectivement , de retour d’un voyage en Écosse, Guy passe devant un champ de blé noir et a une révélation : pourquoi ne pas produire un whisky à base de cette céréale emblématique de la Bretagne ?

La législation européenne précise que le whisky est une boisson spiritueuse obtenue par distillation d’un moût de céréales maltées, sans limiter les types de céréales utilisés. Le blé noir, bien qu’atypique, entre parfaitement dans cette définition et devient le symbole d’une approche audacieuse et locale.

Certificat des douanes validant l’utilisation du blé noir pour la production de whisky

Bien que le coût de la matière première soit quatre fois supérieur à celui de l’orge et que le maltage pose des défis techniques, il persévère. Pour la distillation, ce sont cette fois-ci des formes d’alambic bien françaises puisque Guy reprend le modèle de l’alambic charentais sans le transformer. Pour le vieillissement, c’est à la française également ! Principalement des fûts de cognac et une technique de réduction lente issue du savoir-faire charentais.

En 2002, le premier whisky 100 % blé noir du monde voit le jour, affirmant l’identité unique du whisky français. La catalogue « Foundations » propose une version presque paroxystique de la distillerie puisqu’il s’agit d’un vénérable 12 ans d’âge élevé en fut de Cognac.

Nez : Léger et charmeur. Des arômes fruités de pomme, raisin et prune rappellent les jeunes cognacs. On y trouve aussi une touche raffinée de rose blanche, une pointe de sarrasin et une douceur sucrée de meringue.

Bouche : Vive et bien équilibrée. Dès la première gorgée, des notes acidulées de pomme et de poire s’imposent. Le milieu de bouche est gourmand avec des saveurs d’abricot, de baba au rhum, d’amande et même une touche de fraise, relevées par un soupçon de poivre.

Finale : Douce et apaisante. Les premières notes évoquent la galette des rois, avec des accents de pomme et de frangipane. Une pointe d’orange sanguine apporte une légère amertume, tandis qu’une touche délicate de violette s’installe en arrière-plan.

Outre ces deux figures fondatrices, le pop-up store met en avant des single casks exceptionnels, témoins du dynamisme et de l’innovation des producteurs français :

  • Un single cask du Domaine des Hautes Glaces, élevé en fût de vin issu du cépage Roussanne, qui illustre l’importance du terroir que le domaine explore depuis 2011 (soit 5 ans avant Waterford en Irlande).
  • Un single cask de Ninkasi , distillerie lancée par la brasserie éponyme en 2015 et qui a mis un point d’honneur à explorer le vieillissement en fût de vin, démontrant l’avantage tactique de la France dans sa capacité à utiliser des barriques fraîches.
  • Un single cask de Castan qui démontre la capacité d’innovation française en matière de distillation puisqu’en 2010, la distillerie tarnaise décide réhabilité un ancien alambic à vase plutôt que de s’équiper de Pot-Still à l’Ecossaise.

In fine, cet événement est l’occasion de mesurer, dégustation à l’appui, l’ampleur aromatique offerte par le whisky français, entre respect des traditions et audace créative. À ne pas manquer !