Le terroir, une notion bien française, est souvent au cœur de la démarche des distilleries de l’Hexagone. Comment cette notion s’est-elle exportée ? Quelle est la valeur ajoutée de la France sur ce sujet ? Discussion avec Florian Pflieger.
Bonjour Florian, peux-tu te présenter ?
Bonjour, je travaille pour le groupe Rémy Cointreau depuis trois ans dans ce qu’on appelle la « Whisky Business Unit », dont la mission est de représenter toutes les distilleries de whisky du groupe. J’ai commencé par le marché français et désormais je m’occupe également du marché suisse, depuis quatre ou cinq mois.
Quelles sont les marques de whisky dont tu as la charge? Ont-elles des points communs ?
C’est un portefeuille de whisky très intéressant, avec trois distilleries qui partagent la même philosophie et les mêmes valeurs, à savoir : le terroir, les Hommes et le temps. Ce sont aussi les valeurs de Remy Cointreau.
Il y a le Domaine des Hautes Glaces (DHG), une distillerie française tout en bio, située en Isère dans les Alpes françaises, à 900 mètres d’altitude. Elle gère tout, des céréales à la mise en bouteilles. Et je parle bien de céréales car on n’utilise pas uniquement de l’orge : on a plein de variétés de céréales et, en ce moment, on a deux cuvées qui mettent en valeur deux céréales différentes : les moissons malt pour l’orge et les moissons rye pour le seigle.
Ensuite il y a le groupe PHD (Progressive Hebridean Distillers), qui englobe quatre marques, une de gin avec Botanist et trois de whisky avec Bruichladdich, Port Charlotte et Octomore. On y retrouve bien l’attachement au terroir, notamment car c’est une des rares distilleries écossaises à mettre en avant l’orge écossaise. Aujourd’hui, l’un des principaux exportateurs d’orge pour l’Ecosse est la Russie, mais nous on travaille avec des fermes des quatre coins de l’Écosse. Nous voulons mettre en valeur l’impact « interne » de ce terroir. En effet, c’est assez incroyable de voir sur des news make la différence qu’il y a entre quatre fermes distincts alors qu’on est sur une même variété de céréales, une fermentation et une distillation identiques. Nous travaillons aussi le terroir local, avec 19 fermes sur Islay qui fournissent 42 % de nos céréales.
Et la dernière, c’est Westland, une jeune distillerie. Les premiers distillats sont sortis en 2010 comme pour le DHG. On est au nord-ouest de l’État de Washington, une des terres reconnues mondialement pour la culture de l’orge. Aussi, pourquoi faire un bourbon quand on peut faire un single malt américain ? A Westland, on utilise 80 % d’orge local et les autres 20 % correspondent à l’orge tourbé et au malt torréfié qui eux sont importés.
Quelle réaction observez-vous lorsque vous mentionnez un whisky français dans votre portefeuille?
À Paris, le whisky français est assez connu, avec un réel désir de consommer local.
Hors de Paris également, mais ça reste plus rare. On le voit dans les boutiques, où le nombre de whisky français proposés est assez minime.
Aujourd’hui, avec plus de 70 acteurs sur le marché, on assiste tout de même à une belle dynamique, pour l’instant c’est petit, mais moi je crois à l’essor de cette catégorie.
Si on prend Bruichladdich (PHD) et le Domaine des Hautes Glaces, quel sont les points communs et les divergences entre ces deux distilleries ?
Déjà, on ne travaille pas sur les mêmes variétés de céréales.
Au DHG on est en altitude donc on travaille sur des orges d’automne qui passent tout l’hiver sous la neige.
Le climat est plutôt méditerranéen, alors que l’Écosse, et particulièrement Islay, reste très humide avec plus de 200 jours de pluie par an, c’est assez énorme.
En plus, vu la différence d’altitude, l’eau ne bout pas à la même température et l’alcool non plus. Pour te donner un ordre d’idées, au DHG l’eau bout à 96°C.
Et pour la fermentation, au DHG c’est autour d’une semaine, chez Bruichladdich c’est pareil ?
Non, chez Bruichladdich c’est environ 72 heures de fermentation, ce qui reste long si on compare aux autres distilleries écossaises. Pour nous, la fermentation est une étape clé, trop souvent négligée, alors qu’elle permet de créer plein d’arômes.
Et hormis la différence de température d’ébullition, y a-t-il d’autres différences significatives à la distillation ?
Oui. Au DHG on distille à feu nu en alambic charentais, avec des granulés de bois local. Chez Bruichladdich, on distille sur un pot Still classique chauffé par un serpentin.
Lors d’une visite chez Bruichladdich, j’ai pu voir pas mal de fûts de vin français dans leur chai, est-ce un point commun entre les deux distilleries ?
En fait, le vieillissement est assez différent chez l’une et l’autre.
Chez Bruichladdich on a plus de 300 types de fûts différents. On travaille bien sûr avec des fûts de bourbon, on a également les plus grands châteaux bordelais mais aussi ceux de la vallée du Rhône. On travaille avec des vignerons autrichiens, italiens, espagnols, israéliens… On a également des fûts de rhum et bien d’autres.
Au DHG, on est sur un positionnement 100 % français. Bon, sauf pour l’Obscurus, mais on a 99,999 % de fûts français avec une grosse dominante de fûts de cognac. Nous avons aussi des fûts d’armagnac et des fûts de vin blanc, plutôt des vins de l’Est, du Jura à la vallée du Rhône avec des fûts de vin jaune, de Saint-Joseph de Condrieu, d’Hermitage, etc.
Ceci dit, l’idée commune aux deux distilleries c’est de laisser s’exprimer la matière première. Chez Bruichladdich et au DHG, on travaille beaucoup sur des Third fill (des fûts de troisième remplissage qui sont donc moins actifs).
Selon toi, quelle seront les attentes des consommateurs dans la décennie à venir ?
Les consommateurs feront de plus en plus attention à ce qu’ils consommeront.
Je pense que le bio fera partie des techniques agricoles recherchées. C’est un point positif pour nous. Le local est aussi de plus en plus important. Au DHG, en plus des céréales, on emploie de la main-d’œuvre locale, on fait travailler des artisans du coin, même le béton pour le nouveau domaine est local. (Voir : Trois questions à Frédéric Revol sur le meme sujet)
Cet intérêt pour les produits locaux va bénéficier au whisky français tout simplement, je pense que la demande va continuer d’augmenter.
Un petit mot sur le déménagement ?
Oui, on est en train de finir la construction du nouveau domaine, c’est à trois kilomètres de la distillerie actuelle et l’altitude reste la même.
On a gardé notre paire d’alambics et on en a acheté deux autres dans le même esprit.
Nous aurons des nouveaux lieux pour le vieillissement mais nous garderons un chai dans l’ancienne distillerie. Bref, ça avance plutôt bien et nous sommes très satisfaits du résultat, nous allons bientôt pouvoir commencer la phase de test.
Enfin, vous avez sorti un magnum dernièrement, que peux-tu nous en dire ?
Effectivement, et on en a produit 54.
La bouteille est soufflée à la bouche par un verrier local et le coffret en bois est fait avec des matériaux des environs.
La première moisson du Domaine des Hautes Glaces a eu lieu en 2009, et il s’agit des tout dernier distillat de cette récolte que nous avons voulu mettre en avant dans un magnum pour fêter les 10 ans du domaine.
C’est un single malt avec une grosse dominante de fûts de cognac mais il y a également des fûts de vin blanc.
On retrouve l’esprit des moissons single malt mais avec un vieillissement plus long ; sur les moissons, on est sur un assemblage d’à peu près 5 ans, là on est sur 9 ans et demi et pourtant, on garde la minéralité, la fraîcheur et le côté floral typique de nos distillats.
À noter que chaque personne qui achète un magnum est invitée à l’inauguration du nouveau domaine, nous communiquerons la date prochainement !
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