Parmi toutes les distilleries françaises certaines se sont équipés d’alambics initialements ambulants, un choix pas si anodin qui repose sur une histoire riche de plusieurs siècles.
Traditionnellement, la distillation en France était très lié à l’agriculture, c’était notamment une façon de conserver les fruits qui, contrairement aux céréales, ne se conserve pas.
Les récoltants autorisés à faire distiller leurs fruits sont appelés Bouilleurs de crue mais ça n’est pour autant qu’ils disposent d’un alambic. Non, pour la distillation, les bouilleurs de crue font le plus souvent appel au bouilleur ambulant. Deux réalités bien distinctes qui sont trop souvent confondues.
Pour faire simple, celui qui possède les fruits, c’est le bouilleur de crue, celui qui possède et manie l’alambic, c’est le bouilleur ambulant.
Le privilège.
En 1806, Napoléon premier accorde à ses soldats démobilisés le privilège de bouilleur de cru. C’est une façon de les remercier pour service rendu en les exonérant, sous conditions, de taxes sur les 10 premiers litres d’alcools purs (concrètement, cela fait 20 litres à 50%). Ça paraît peu, mais pour produire un litre d’alcool pur il faut tout de même 20 à 40 kilos de fruits. Pour certaines petites exploitations le privilège couvrait une partie substantielle de la production qui était alors à usage personnel !
Lorsqu’en 1960, une ordonnance revient sur ce droit, c’est un véritable coup de tonnerre ! Officiellement il s’agit de lutter contre l’alcoolisme mais certains vont y voir la pression des lobbies de grands importateurs et producteurs d’alcool fort. La vérité est probablement à chercher entre les deux (comme souvent).
Quoi qu’il en soit , le 30 août de cette année, l’ordonnance stipule que « l’allocation en franchise du code des impôts est supprimée. Toutefois, les personnes physiques qui pouvaient prétendre à cette allocation pendant la campagne 1959-1960 sont maintenues à titre personnel, sans pouvoir le transmettre à d’autres personnes que leur conjoint survivant. »
Concrètement, c’est la fin de l’hérédité du privilège et la fin programmée des bouilleurs de cru (et donc par ricochet, celle du bouilleur ambulant ! ). Dans certaines exploitations où cohabitent plusieurs générations, la tradition va perdurer tant que le grand-père est en vie mais le nombre de bouilleurs de cru diminue inexorablement et passe de Trois millions d’acteurs en 1960 à vingt milles en 2020.
Vous me direz, rien n’empêchait les bouilleurs de cru de s’acquitter de l’impôt pour perpétuer la tradition ! Certes, mais le prix est loin d’être neutre : les personnes qui ne possèdent pas le privilège payent dès le premier litre d’alcool : le tarif est de 8,7€ par litre d’alcool pur pour les dix premiers litres, puis de 17,4€ par litre d’alcool pur au-dessus. Ce prix et les modalités administratives qui y sont liés sont un réel frein quand il s’agit simplement de produire une vingtaine de bouteille pour sa consommation personnelle !
Pas étonnant donc que cette activité soit petit à petit tombé en désuétude.
La distillerie Nalin.
La plupart des producteurs de whisky qui se sont muni d’un ancien alambic ambulant, comme celui de Castan, de Northmaen ou encore, celui de la roche aux fées, ont définitivement abandonné la mobilité. Mais il existe encore quelques producteurs qui perpétuent la tradition. Parmi eux, il en est un qui sillonne les monts du lyonnais pour distiller des fruits avant de se consacrer à la production de son whisky, ce producteur c’est Pascal Nalin et son alambic à vases !
L’histoire commence après la guerre lorsque Marius Nalin décide de diversifier son activité en créant la distillerie dans la petite commune de Meys, l’affaire est ensuite reprise par Ernest Nalin, le père de Pascal. À la mort de son père, Pascal Nalin reprend et développe l’activité. Particulièrement prolifique, il ne cesse d’innover en créant une large gamme d’alcools et de liqueurs tout en gardant la distillation à façon comme activité principale. Ainsi, Pascal et son alambic se déplacent de ville en ville entre septembre et janvier. Première étape, le village du Saint-Laurent-d’Agny puis Chaponnay et enfin Messimy. À chacun de ces arrêts, l’alambic est installé sur la place du village et les bouilleurs de cru (professionnels et particuliers) voisins apportent leurs fruits à distiller.
Le whisky
En 2012, Pascal s’associe à la brasserie artisanale « Terre de Bière » à Villefranche-sur-Saône, quelques essais sont faits sur des distillats de bière et rapidement, Pascal privilégie la distillation d’un WASH sans houblon pour la production de whisky.
Après distillation, le distillat est réduit pour être enfuté à 50% vol, un degré plutôt bas mais qui garantit une parfaite intégration et qui fonctionne bien avec les fûts de vin de non méché (Condrieu de chez E. Guigal) sélectionné par la distillerie.
En 2017, les premiers whiskys Nalin sont commercialisés, la distillerie produit moins d’une dizaine de fûts par an et la majorité de la production est vendue localement.
Amené à 40% via une réduction lente, le whisky offre un nez intense et fruité (Poire, Abricot) qui se révèle légèrement pâtissier à l’aération (frangipane).
En bouche, le malt frais s’accompagne de pêche blanche, d’épices douces et d’une délicate note florale (violette).
La finale, fugace, est d’une belle élégance avec de subtiles notes toastées et vanillées.
Si l’élevage a eu une influence certaine sur l’aromatique du whisky, les techniques de distillation et de réduction lui confèrent une structure huileuse malgré un degré plutôt bas. La réduction avant enfûtage est couteuse (il faut plus de fût pour stocker un même volume d’alcool) mais se sacrifice se révèle payant tant le whisky obtenu est riche et cohérent.
Tanguy, le représentant de la quatrième génération a récemment produit un GIN et surtout, il souhaite développer l’activité whisky. Une bonne nouvelle pour le whisky français et une bonne façon de perpétuer la tradition des bouilleurs ambulants