Le Koji en question

Aujourd’hui un article un peu technique mais qui met le doigt sur un point flou de la réglementation européenne alors qu’il revêt d’importants enjeux, notamment sur le plan écologique ! Accrochez vous, on entre directement dans le vif du sujet !

Obtenir des sucres fermentescibles

Contrairement aux alcools de fruit obtenu par fermentation puis distillation de ces derniers, la production d’alcool de céréale (et donc de whisky) requiert une étape de production supplémentaire. En effet, pour produire de l’alcool, il faut que des levures consomment du sucre et restituent de l’éthanol mais problème, contrairement aux fruits le sucre contenu dans les céréales est stocké sous forme d’Amidon, trop complexe pour être digéré par les levures !

C’est ici qu’intervient l’étape cruciale du maltage : On humidifie les céréales et après vingt-quatre à soixante-douze heures, ils commencent à germer. Se faisant, ils activent une enzyme naturellement présente dans le grain, la diastase (en référence au terme grec pour dire « séparer ») qui sera alors à même de séparer les granules d’amidon en sucres simples lors du brassage. Il ne restera alors aux levures qu’à faire leur travail pour obtenir le Wash, c’est-à-dire le moût fermenté à distiller.

Aire de maltage à la distillerie, le grain est humidifié, lorsqu’il commencera à germer il faudra le sécher – Distillerie La Piautre © Darmesh varane : https://www.darmeshvarane.com/

A noter que la réglementation européenne autorise l’ajout d’enzymes exogènes puisqu’elle stipule que le whisky est obtenu par « la distillation d’un moût de céréales maltées, avec ou sans les grains entiers de céréales non maltées, qui a été saccharifié* par la diastase du malt qu’il contient, avec ou sans autres enzymes naturelles ». Nous y reviendrons !

Une autre méthode

 Au japon, pour la production d’alcool traditionnel ou tout simplement de saké, on utilise une autre méthode. Le processus de maltage classique n’étant pas adapté au riz, on utilise un champignon microscopique, le Koji.

Il en existe trois sortes : le Koji jaune, Aspergillus oryzae, principalement utilisé dans la production de miso, de sauce soja et de saké raffiné, le koji blanc, Aspergillus kawachii, principalement utilisé pour la production du Shochu et le koji noir, Aspergillus luchuensis, utilisé a Okinawa pour la production de l’Awamori

“J’ai découvert le Shochu en 2019 lors d’un voyage à Londres, cela m’a tout de suite passionnée ! De retour en France, j’ai longuement travaillé pour mettre au point mon propre shochu (patate et Riz) qui gagnera l’année suivante au world spirit awards. Peu de temps après j’ai été contacté par des artisans japonais avec qui j’ai pu approfondir ma connaissance du sujet !”

Benoit Garcia, Patron de la distillerie BOWS

Concrètement, on applique les moisissures koji sur la céréale cuite à la vapeur afin de cultiver un moût d’amorçage, puis en ajoutant de l’eau et de la levure, on obtient le moût fermenté, l’équivalent du Wash.

Macro de spores sur un pop-corn. Crédit: Andrew Wang

Mais peut-on toujours parler de whisky avec ce second procédé ? Aux États unis, cela ne pose pas de problème, la réglementation est à la fois large et précise (voir la règlementation ici) et des whiskies de riz (et de koji) comme Kikori s’exporte très bien. Mais rappelez-vous, en Europe il faut que le brassin à base du whisky contienne nécessairement une partie de céréales maltées, dont la diastase participe de la saccharification. L’utilisation d’autres enzymes est possible, en complément, pourvu qu’elles soient naturelles, mais le statut du koji n’est pas réellement encadré. Cela dit, Benoit Garcia, balai cette objection d’un revers de la main et ajoute : « La plupart des enzymes de brasserie sont précisément issues de ces champignons microscopiques. Et j’ajoute toujours un peu d’orge malté pour que la diastase participe ! »

Une approche écologique

Il faut dire que les enjeux sont de taille pour la distillerie qui a récemment déménagé à Laure-Minervois dans l’Aude, une région fréquemment touchée par la sécheresse. « Depuis 3 ans, je fais du whisky en utilisant du koji. Ce ne sera pas du single malt mais avec ce nouveau procédé, j’utilise 200 litres d’eau pour une tonne de malt alors qu’il en faudrait quasiment 5000 litres avec la méthode traditionnelle. » renchérit le producteur occitan.

Et cette économie n’est pas le seul argument en faveur du champignon : « Outre l’utilisation de l’eau, le maltage est une étape très énergivore, après la trempe et la germination, il faut sécher le malt pour enlever 40% de l’eau qu’il contient. Chez nous il nous faut environ 1.25 tonne de bois déchiqueté pour sécher 3 tonnes d’orge maltée cela représente une consommation énergétique d’environ 1000 kWh pour une tonne» ajoute Vincent Lelièvre, Directeur de la distillerie de La Piautre qui est l’une des rares à avoir intégré l’étape de maltage sur place et qui fête ses 20 ans avec une nouvelle cuvée d’exception.

La Piautre Récoltes – 44,5% – 1680 bouteilles illustrées par Antoine DjackAssemblage de 7 millésimes de 2014 à 2020 

Céréales : Orge biologique cultivée en Anjou variétés Sebastian et Overture. Maltage sur aire.

Distillation : Alambic Coyac et Alambic charentais

Élevage : Assemblage de fûts de Côteaux de l’Aubance et du Layon, Cognac et fûts de chêne français neufs, chai sec et humide.

Nez : Riche, des céréales torréfiées et des fruits confits s’accompagnent de miel d’acacia relevé de notes boisées et torréfié. 

Bouche : Ample, du malt grillé, des amandes effilées et des noisettes torréfiées précède un milieu de bouche plus fruité (Orange confite)

Finale : Longue, la finale dévoile de subtiles notes fumées !

Pour la production de son “Kojisky”, comme aime à l’appeler Benoît Garcia, la distillerie BOWS ensemence de l’orge avec du Koji, après 48h (en mélangeant toutes les 4h) les sucres sont dégradés et mis en fermentation avec ajout des céréales cru et de 5% de malt au fur et à mesure. Après 8 jours le wash est prêt pour être distillé dans le nouvel alambic de la distillerie. Un alambic à colonne conçu par Benoît et capable de fonctionner sous vide et permettant donc, à cette étape également, de réaliser des économies d’énergie considérable !

Le second alambic de la distillerie BOWS

 

Concernant le Koji, il faut reconnaître que la méthode ne manque pas d’argument. C’est un procédé très inhabituel qui, en plus d’être en phase avec son époque, exerce une influence sur la fermentation en boostant la création d’esters. Benoit constate même des différences en fonction du type de Koji utilisé. Une chose est sûre, on a hâte de découvrir le premier Kojisky de la distillerie BOWS qui devrait voir le jour dès le mois de juin !

 

*transformer en sucre