5 Single cask de whisky français

Après plusieurs années à suivre l’aventure du whisky français, à la raconter sur ce site puis, plus récemment, à travers le livre une brève mais Intense histoire du whisky français, le moment est venu de revenir sur 5 singles cask particulièrement marquant et qui sont à mon sens de véritable jalon dans l’histoire récente du whisky français.

S’il y a une chose qu’on ne peut pas retirer aux productions de l’hexagone, c’est l’audace et la capacité à repousser les frontières organoleptiques du whisky tel qu’elles étaient préalablement définies par les grandes nations (US, Écosse). Et pour cause, lorsque la production de whisky arrive en France, elle rencontre une incroyable diversité de matières premières, d’alambics, de fûts, de terroirs qui sont autant d’invitations à expérimenter pour les producteurs qui se lancent dépourvus d’a priori.

Il s’agit donc d’une sélection parfaitement subjective et qui, de surcroît, s’oriente volontairement vers des whiskies si atypiques que lorsque vous les dégustez le temps se suspend et que vous ne pouvez rester indifférent. Je laisse volontairement de côté les whiskies plus classiques (Les singles malts de pot-still en fut de bourbon ou de sherry) pour me concentrer sur des singles casks qui traduisent l’approche singulière de la production de whisky en France !

« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que, le dimanche matin, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul » 

Marcel Proust

 2011 –  Uberach L’ultime – Fût 103 – 49,9%- 245 bouteilles

 En 2003, Jean Metzger, grand connaisseur de vin, amateur de whisky, maître-nageur et disc-jockey à ces heures perdues, débute le projet de whisky de la distillerie Bertrand ! Il commande un brassin à la brasserie voisine, le fait distiller en deux passes dans les Holstein de la distillerie et enfûte le distillat dans des barriques de Banyuls fraîches qu’il a sélectionnées avec attention. Parmi ces barriques, la numéro 103 que Jean rebaptise « L’ultime », en raison de l’intensité aromatique qu’elle déploie.

Jean Metzger dans les chais de la distillerie Bertrand © Darmesh varane : https://www.darmeshvarane.com/

Embouteillé en 2011 le whisky, Noir comme de l’encre, offre un nez sur la résine avec des notes de caramel brûlé, de chocolat, de raisin de Corinthe et … de fruits rouges ! Végétal, il évolue sur l’artémise et le goudron fraîchement coulé. En bouche, on oscille entre les grains de framboises frais, les murs sauvages et les bonbons à la violette. La finale, longue, fait la part belle au végétale, la feuille de framboisier, la chlorophylle !

10 ans plus tard, la même barrique donne un second whisky, le 103/2. Tout aussi exceptionnel, il dévoile une trame proche de son prédécesseur mais alors que les notes de goudron et de caramel sont atténuées, les notes florales, au premier rang desquelles la violette, sont quant à elles, particulièrement exacerbées !

 

2016 – Armorik fût de chouchen – Fût 146 – 58,7%- 250 bouteilles

À l’occasion de ses 60 ans, La Maison du whisky sélectionne un single cask d’Armorik âgé de 5 ans dont deux ans en fût de chouchen, l’hydromel Breton, une première ! Un mariage particulièrement réussi qui incarne à merveille le caractère de la distillerie bretonne. En 1983, ce sont ces deux produits, le whisky et le chouchen, qui permettent à Gilles Leizour de redresser la situation financière de la distillerie Warenghem et par là même, d’initier l’histoire du whisky français.

Le premier nez est chaleureux, offrant des notes de fruits caramélisés et une légère minéralité. Au second nez, les fruits se précisent avec des nuances de pomme au four et de poire, accompagnées d’un côté beurré qui n’est pas sans évoquer le kouign amann. La bouche, ronde et sirupeuse, évoque une tarte tatin saupoudrée d’épices douces, tandis que des notes de tabac blond ajoutent de la profondeur. La finale fait la part belle au chouchen avec des arômes de gâteau au miel et une transformation de la pomme en pruneau, offrant une belle longueur au whisky. Cette réalisation unique et innovante de la pionnière des distilleries de whisky français tire profit de l’utilisation du fût de chouchen, ajoutant un supplément d’âme bretonne au whisky.

2019 – Domaine des Hautes Glaces Obscurus – 52,5% – 666 bouteilles

Frederic Revol © Darmesh varane : https://www.darmeshvarane.com/

Résolument écologiques et attachée aux circuits courts, la philosophie du domaine des hautes glaces implique l’utilisation de barriques d’origine française : Fût de cognac, de vin, de mistelle en revanche pas de fût de bourbon, de sherry, de porto etc… Pourtant, Frédéric Revol, fondateur du domaine des hautes glaces, est un expérimentateur dans l’âme, il suffit de regarder le travail accompli par le domaine sur les matières premières pour s’en convaincre ! Aussi, il n’est pas étonnant qu’on trouve au domaine au moins un fût ayant dérogé à la règle. Le numéro X dont Frédéric extrait en 2019 un whisky de seigle à la robe sombre et mystérieuse qui lui vaudra le nom d’Obscurus. Le single rye dévoile un nez complexe évoluant du caramel au beurre salé vers la noix de pécan et le clou de girofle, avec des nuances empyreumatiques et animales. Sur le poivre et la cannelle, la bouche offre aussi des notes gourmandes de pruneau, kirsch et tiramisu, tandis que la finale se caractérise par des saveurs de pâte d’amandes, de réglisse et un retour aux notes terreuses.

 

2021 – Mandrin 2015 Version Française – fût 3609 -57,7% – 256 bouteilles

En 2021, la marque Version Française embouteille le deuxième et ultime fut de Mandrin. Derrière le nom du célèbre contrebandier, se cache aussi le whisky brassé par Vincent Gachet et distillé par le bouilleur de cru ambulant Gilles Gaudet. Seules deux barriques auront été produites avant que Vincent, trop absorbé par l’essor de la bière, ne renonce a la production de whisky. Élevé successivement en ex-Chassagne Montrachet blanc et en Rivesaltes de second remplissage, Mandrin 2015 est une rareté absolue. Il offre un nez sur le massepain, la cannelle, l’orange, et le patchouli avant d’évoluer sur les noix de muscade et les marrons glacés enveloppé d’une délicate fumée. La bouche s’ouvre sur le gingembre confit et la cannelle doublé d’une touche tourbée persistante, ainsi que des saveurs d’orange amère, de gâteau aux amandes et chocolat.  La finale, longue, dévoile une amertume médicinale, des nuances de thé Pu Erh, et des raisins secs Sultana à l’eau de vie.

 

2022 – Eddu Graal – Fût N°35– 43% – 304 bouteilles

En 2001, le regretté Guy Le Lay, fondateur de la distillerie des menhirs et du whisky de blé noir, identifie un fût de whisky qui lui semble revêtir un potentiel particulier, la barrique n°35. Il la distingue des autres et décide de mettre de côté tant et si bien qu’au cours des deux décennies qui suivent, peu d’attention est accordée à la barrique. Ça n’est que 21 ans plus tard, lorsque son fils, Kevin Le Lay se penche sur la barrique, qu’il découvre un whisky particulièrement somptueux. Le niveau de la barrique est particulièrement bas et le taux d’alcool a fortement diminué, aussi, les frères le Lay décident que c’est le moment d’embouteiller le Graal ! 

Tout en finesse, le nez révèle des notes fruitées de pomme, poire, ananas, passion, et des accents vanillés et miellés, ainsi que des nuances herbacées et d’agrumes confits. La bouche, vive et délicate, poursuit sur les fruits exotiques et les agrumes, puis, enrichi la palette aromatique avec des nuances de fruits secs et d’épices fines. Longue, la finale délaye des touches de lait de coco, de miel de tilleul, de cacao ainsi que des notes épicés de poivre et de gingembre confit avant de délicatement s’effacer sur des saveurs d’oranges amères.

Loig Le Lay dans les chais de la distillerie des Menhirs © Darmesh Varane : https://www.darmeshvarane.com/