Réhabilitons la Balle Haute !

Alors que l’été bat son plein, force est de constater qu’on cède plus facilement à la bière ou au pastis qu’à la dégustation d’un single malt à l’apéritif : et ce quand bien même le single malt serait servi sur glace (oui je sais que pour certain c’est un sacrilège mais dans l’article d’aujourd’hui, on va bousculer quelques certitudes !)

Lors des recherches pour la rédaction du livre Une brève mais intense Histoire du whisky français, j’ai longuement parcouru de vieux journaux sur l’excellent site Retronews et quelle ne fut pas ma surprise de mesurer à quel point un mode de consommation omniprésent au siècle dernier avait aujourd’hui totalement disparu : Le Whisky allongé d’eau pétillante.

Publicité dans le quotidien « Ce soir » en 1949.


De l’eau et du whisky

Extrêmement populaire, ce mode de consommation parfaitement adapté aux apéritifs estivaux a aujourd’hui quasiment disparu des usages. Est-ce dû à la premiumisation de l’offre qui voit les singles malt supplanter les blend dans les années 80 et 90 ? ou bien l’arrivée du whisky coca à la même époque ? Difficile à dire !

Pire, même l’ajout d’un trait d’eau dans son whisky est aujourd’hui vu d’un œil suspicieux. Et pourtant, à moins de ne boire que des bruts de fût, la quasi-totalité des whiskies commercialisés en France ont déjà été « coupés à l’eau ». En production, ce que l’on nomme la réduction n’est rien d’autre que l’adjonction d’eau pour arriver à un degré particulier. Le plus souvent 40 ou 46% vol. 

La plupart des Rares malts de Diageo, suggèrent sur leur contre-étiquette de les boire “ One part whisky to two-part still water” c’est-à-dire dilué dans deux fois son volume d’eau.



Si le choix du degré est souvent lié à des questions économiques, il résulte parfois d’une réflexion guidée par le profil aromatique du whisky. En effet, un whisky n’exprime pas les mêmes arômes à 50 qu’a 40%. Il se peut qu’un single malt soit parfait à 43% mais un peu déséquilibré a 44%. La tourbe notamment, a tendance à gagner en intensité à mesure que le degré diminue (ajouter un trait d’eau dans un Octomore a 60%, l’expérience est saisissante !). Inversement, les francs arômes de maïs soufflé du bourbon offre leur plein potentiel à 50% 

En somme, le degré est un élément clef dans le profil du whisky et certaines expressions dévoilent des trésors aromatiques lorsque, allongés d’eau pétillante (ou plate), ils se retrouvent entre 5% et 15% !

 

Le japon, gardien de la tradition

Si le Whisky allongé à l’eau pétillante n’est plus au goût du jour en Europe, ce mode de consommation datant des années 50 n’a jamais totalement disparu au Japon et a même connu un regain de popularité au début du millénaire sous l’appellation “Highball”

Dès le milieu des années 50, la tendance du whiskies allongés à l’eau pétillante est portée par les « Torys Bar » (une initiative lancée par Kotobukiya, le futur Suntory). On en comptera 35 000 à travers tout le pays. L’idée étant de promouvoir le whisky maison Torys, particulièrement populaire dans sa version Highball. 

Plus tard, en 1972, Suntory lance une nouvelle campagne intitulée “Nihonbashi Sakusen » (« Opération baguettes » mais aussi le nom d’un quartier d’affaires de Tokyo). L’objectif : cibler les établissements où l’on mange et promouvoir la consommation du whisky à table à travers le Highball mais surtout le Mizuwari (un Highball à l’eau plate).

Le succès est au rendez-vous et la marque de whisky « Suntory Old », boostée  par ce mode de consommation passe d’un million de caisses vendues en 1970 à plus de 12 millions en 1980 (À l’époque c’est a peu près autant que les ventes mondiales de Johnny Walker !). Mais le Highball tombera petit à petit en désuétude avant de connaître une nouvelle explosion a partir de 2008, avec une nouvelle campagne orchestrée par Suntory une fois de plus et qui nous conduit jusqu’a aujourd’hui, ou le Highball est toujours aussi populaire ! **

 

Mais d’où vient le nom de Highball ? Littéralement balle (ou boule) haute ? 

En fait, ce nom est une référence à un verre en forme de cylindre élancé dans lequel est traditionnellement servi les cocktails composé d’un spiritueux et d’un mixer pétillant. Dans son ouvrage The Joy of Mixology (2003), Gary Regan explique que se verre tirerait lui même son nom d’un ancien terme ferroviaire désignant l’indicateur à boule relié à un flotteur à l’intérieur du réservoir d’eau d’un train à vapeur et qui indiquait au chef de train le niveau du réservoir d’eau .

Quoi qu’il en soit, au pays du soleil levant, on garde le nom mais on troque volontiers l’élégant verre à cocktail pour une chope de bière bardée de glaçons et arrosée d’un quart de whisky pour trois quart d’eau pétillante ! 

On est donc loin de l’image d’Épinal du gentleman sérieusement concentré sur son whisky et engoncé dans son fauteuil-le club. Ici, le Highball est un mode de consommation décomplexé qui se décline même en canette. 

Ce mode de consommation, portant le whisky à un degré plus raisonnable, permet de redécouvrir une autre facette du spiritueux préféré des Français* qui, dès lors, devient le parfait compagnon de l’apéritif en hiver comme en été !

Que ce soit dans les années 50 ou aujourd’hui, le format « canette » est un témoin de la popularité du Highball.


Les bons conseil du mixologue

Retour en France, à Paris, ou  le Golden Promise Whisky Bar tente de réhabiliter la Balle haute (Highball dans une traduction volontairement très littérale). Ainsi, certains whiskies français passent le test de la dilution. Si dans certains cas cela ne fonctionne pas ( lorsque la présence du bois est très marquée par exemple), certaines expressions se prêtent remarquablement bien à l’expérience !

Ainsi; le Vilanova Shed, whisky Bio de la distillerie Castan, issu d’orge tourbé et d’un assemblage de fûts de bourbon et de vin blanc affiné en fûts de whisky tourbé d’Islay (Histoire d’etre sûr) donne une balle-Haute minérale, avec des notes de raisin frais et d’embruns marins.

Plus original, Eddu Silver ainsi allongé d’eau pétillante, dévoile des arômes d’écorce et de petal de rose derrière les parfums de sarrasin toasté.

Publicité dans « Marianne » en 1937

Enfin, mais la liste est potentiellement interminable, Le Breuil 2020 Versions Françaises, un single malt issu de la mythique orge golden promise qui a donné son nom au lieu, passe d’un profil fruité et vanillé a un profil délicatement fumé, Médicinal tout en fraîcheur (menthe poivrée).

 

* Le whisky représente près de 40% des spiritueux vendus en France. Il est suivi par les anisées qui avoisine les 20%

**Merci à Salvatore Mannino pour les informations relatives à l’essor du Highball au Japon