Pourquoi le « Whisky Blanc » n’existe pas ?

Nombreux sont les alcools qui se décline en blanc (le distillat fraîchement sorti de l’alambic) et en vieilli (avec un contact plus ou moins prolongé avec le bois). C’est le cas du rhum, de la tequila, du mezcal, de l’Armagnac, du gin… en revanche, le « whisky blanc » semble n’avoir jamais trouvé son public !

Il y a certes eu la grande époque du Moonshine aux États-Unis et du Poitin en Irlande mais peut-on parler de succès commercial lorsqu’il s’agit principalement d’alcool de contrebande !?

21 août 1929 Un alambic servant à la production de « moonshine » est saisi dans une ferme près de Doylestown (Pennsylvanie).

Un business model compliqué

Si monter une distillerie de whisky n’est pas une mince affaire, c’est en partie car cet alcool requiert une période de garde minimum de trois ans. Autrement dit, les trois premières années ne sont que des dépenses et les recettes débutent au mieux la quatrième année ! Cette immobilisation de trésorerie n’est d’ailleurs pas étrangère dans l’explosion du nombre de Gins en France. D’une part, car l’alcool de genièvre a le mérite d’autoriser une grande part de liberté permettant aux producteurs de se singulariser en utilisant, par exemple, des botaniques locales ; d’autre part, car cette eau-de-vie est immédiatement commercialisable !

Dans ce contexte, il est naturel de se poser la question, pourquoi ne pas commercialiser aussi le whisky blanc ? 

Certes, il ne pourrait bénéficier du nom « whisky » (voir l’article sur la réglementation européenne) mais l’idée peut légitimement sembler séduisante, après tout, nombreux sont les spiritueux qui se déclinent en blanc et en vieilli !  De même au Japon, les shoshu de céréales sont légion et se commercialisent sans difficulté (localement du moins), rendant la commercialisation de « New Pot* » tout à fait acceptable.

Malheureusement, pour le whisky, la réponse semble presque trop simple : parce que ça ne se vend pas (ou difficilement) !

Il y a bien quelques tentatives à destination des barmans comme le Curious de Stauning ou le Fresh Monkey de Monkey Shoulder mais de là à constituer une catégorie, il y a encore de la marge.

Et pourtant, l’intérêt gustatif d’un distillat de céréale n’est pas inférieur à celui d’un distillat de canne à sucre ou d’agave. En France, on trouve de très belles eaux de vie et de beaux projets autour du distillat. La marque Rubis Blanc, par exemple, propose un superbe new make signé Rozelieures évoquant la farine de céréales et les fruits du verger, le tout servi dans un packaging élégant. De même, le distillat bio issu de l’alambic Mullër de Nusbaumer, composé de deux malts pielsen (90 %) et cara aroma (10 %), est un new make impressionnant de complexité !

Mais force est de constater que cela ne semble pas suffire à faire émerger une catégorie, comme si le consommateur considérerait que s’il n’était pas question de vieillissement cela ne valait pas la peine de s’y attarder, à moins que cela ne soit une question de marketing ?

New make vs eau- de-vie

Le plus souvent, quand une distillerie commercialise son whisky blanc, elle le fait sous l’appellation New Make ou New born ou éventuellement pure malt. Dans tous les cas, cela laisse entendre qu’il s’agit là d’un produit à une étape intermédiaire de sa production. Un new make, c’est par définition un futur whisky et donc, un produit inabouti. En revanche, une eau-de-vie désigne bien un produit fini et il semblerait que lorsqu’on opte pour cette dénomination, les choses soient légèrement différentes !

Au domaine des hautes glaces, on travaille l’orge pour les single malt mais aussi une ancienne variété de seigle pour la production du Single Rye.

S’il n’existe plus d’édition permanente de whisky de seigle (il s’agit désormais que de petit batch ou de single cask), le domaine des hautes glaces a tout de même décidé d’ajouter à sa gamme un New Make issu de cette céréale sous le nom Vulson. La distillerie du Trièves commercialise son produit comme une eau-de-vie de seigle (Il faut dire que le produit ne saurait se résumer à un distillat, une partie de l’assemblage ayant tout de même reposé plus de 8 ans en cuve inox, ou en amphore !) Et Vulson semble petit à petit trouver son public, notamment sur le réseau CHR*. Un débouché peut-être pas si étonnant tant l’eau de vie de seigle de montagne flirte avec l’univers du mezcal !

Nez : Céréalier et terreux, le nez fait évidemment la part belle à la matière première ! Cela dit, les senteurs de pain seigle évoluent rapidement sur des notes d’agave et de fruits frais contrebalancées par des parfums plus tertiaires (gentiane) et empyreumatiques (fumée, lapsang souchong).


Bouche : La texture est remarquablement épaisse malgré la réduction à 43% (comme quoi prendre son temps pour réduire est toujours une bonne idée !)  On retrouve immédiatement les racines et le pain de seigle, tandis que le fruité se traduit en bouche par des arômes de mirabelle, de prune et d’écorce de pamplemousse. La fumée devient plus grasse et terreuse et s’accompagne de notes de foin humide.


Finale : La céréale (toujours) s’étire en longueur, relevée par des épices (poivron blanc), de la réglisse et une amertume végétale

Dans un style pas si éloigné, le new make du château du Barroux mérite également qu’on s’y arrête un moment. 

Effectivement, depuis 2021, le château féodal, niché dans le Vaucluse face au célèbre mont Ventoux, explore le potentiel aromatique d’une céréale inédite.

Avec le concours du Syndicat du petit épeautre de Haute-Provence, la distillerie a mis au point une filière permettant de garantir que tous les grains qu’elle utilise sont bien issus des sols calcaires et pauvres de l’appellation. Afin de maîtriser tous les paramètres à même d’influencer le goût de leur new make, la distillerie malte ses propres céréales, qu’elle brasse et distille dans un petit alambic armagnacais. Depuis peu, le château a décidé de commercialiser son New make mais là aussi, le qualificatif d’eau-de-vie est préféré ! Après tout, Cazotte propose aussi une eau de vie de petit épeautre, preuve qu’il s’agit là d’un produit abouti.  Le résultat est bluffant, tant commercialement qu’aromatiquement.

Nez :
Surprenant, le nez s’ouvre sur des arômes fruités de poire juteuse rapidement suivis par des notes plus rustiques de petit épeautre (avec sa tige), de noisettes grillées et d’amandes vertes. A l’aération et dans le fond de verre, l’eau de vie dévoile une autre facette orientée vers la fraîcheur qui se traduit par des notes d’eucalyptus, de chlorophylle et de canne à sucre fraîche. Un nez d’une remarquable complexité pour un distillat

Bouche :

Tout aussi riche, la bouche se démarque d’abord par sa texture ample et grasse servie par 48 degrés parfaitement intégrés. On découvre ensuite des arômes floraux (lys, chèvrefeuille) rehaussés par des épices.  Du clou de girofle, de la cannelle, de la muscade et des baies roses se fondent dans les notes de pain au petit épeautre et de noisettes grillées déjà présentes au nez !

Finale :
La finale renoue avec la facette végétale de l’eau de vie. Marquée par une pointe subtile de camphre et d’eucalyptus, la finale se prolonge sur des notes épicées de laurier et de poivre blanc, apportant une belle complexité et une longueur remarquable !

Est-ce parce que les deux new make dégustés ci-dessus ne sont pas issus d’orge malté qu’ils semblent échapper à la malédiction du whisky blanc ? Ou bien parce qu’ils sont commercialisés en tant qu’eau de vie de seigle ou eau de vie de petit épeautre plutôt qu’en tant que New make?

Difficile à dire, d’autant que la réputation du domaine des Hautes glaces n’est plus à faire et que le château du Barroux bénéficie d’une forte fréquentation touristique. 

Il s’agit peut-être là de deux exceptions, à moins que cela ne soit les prémices d’autre chose !