Que faut-il pour qu’un whisky soit Français ?

Le whisky français, oui je connais ! j’en ai goûté un qui est produit à Reims… comment il s’appelle déjà…
Guillon ? 
Oui c’est ça !

Pas de chance, Guillon n’est pas un whisky français, ça n’est d’ailleurs pas un whisky tout court ! 
Mais quels sont les critères qui lie un produit à une zone géographique ? Après tout, une grande partie des Scotch whisky (écossais donc) sont produits avec de l’orge importé. 
Rares sont les distilleries comme Kilchoman ou Bruichladdich qui utilisent une matière première locale. 
De même, on ne compte plus les whiskys japonais qui n’ont de Nippon que la mise en bouteilles (et le marketing bien entendu).
 
Qu’en est il pour nos malts nationaux, faisons le point avec Philippe Jugé, président de la fédération du whisky de France.
 
 
Philippe Jugé : L’écosse n’est plus autosuffisante en malt depuis la fin du 19e siècle.
Attention cependant : l’orge vient d’Ukraine, de Nouvelle Zélande ou de France lorsqu’on veut des céréales de grande qualité et certifiée non OGM et bio.
Mais elle est maltée au Royaume-Uni, en Angleterre ou en Écosse.
 
Une autre info : les trois leaders mondiaux du malt sont des entreprises/coopératives françaises : Vivescia (Malteurop), Soufflet et Axéréal (Boormalt)
Donc même quand le malt est écossais (sauf pour une parie des distilleries de Diageo qui s’approvisionnent à Port Ellen Malting et Glen Ord Malting), il est en réalité… français !
 
Attention également, pour Bruichladdich et Kilchoman, c’est seulement une toute petite partie (10% 15% ?) de l’orge qui est locale. Je ne crois pas que ce soit beaucoup plus. Et à ma connaissance, Port Ellen Malting ne malte plus pour ses concurrents… Donc, je pense que le maltage n’a pas lieu sur Islay…
 
 
Le Whisky Français : Le code des douanes stipule que: « une marchandise est considérée comme originaire du pays où elle a subi sa dernière ouvraison ou transformation substantielle » .
Est ce à dire qu’il suffit d’assembler deux whiskys étrangers en France et de les réduire pour se revendiquer whisky français ?

 
Philippe Jugé : En théorie oui. En théorie seulement car en fait, il y a deux textes – le règlement douanier et le règlement INCO – qui encadrent l’origine et ils peuvent se contredire, en fonction de leur interprétation.
Le règlement douanier est là pour donner une origine aux produits importés et exportés. Il ne s’applique donc pas aux spiritueux produits et consommés dans un même pays.
Le règlement INCO est là pour protéger le consommateur d’un étiquetage trompeur et/ou frauduleux.
 
Un contrôle douanier ne sera donc pas mené de la même manière qu’un contrôle par la répression des fraudes (DGCCRF). Et pour les produits français consommés en France, c’est quand même la DGCCRF qui a la main.
 
Ceci dit, la CEE* a bien compris qu’il y avait un problème au sujet des spiritueux. Tous ne sont pas encadrés pas un cahier des charges.
Pour le whisky, en Europe, il n’y a que 4 cahiers des charges qui définissent des Indications Géographiques : un pour le scotch (whisky écossais), un pour l’irish whiskey (en Irlande) et deux en France : un pour le whisky breton/de Bretagne et l’autre pour le whisky alsacien/d’Alsace.
 
Le nouveau règlement européen parut l’an dernier et qui va entrer en vigueur en mai 2021 recommande à chaque pays de définir la qualité de l’origine, pour tous les spiritueux hors AOC/IG.
Pour la France, cela va passer par un décret et 3 arrêtés, dont un consacré aux mentions d’origine.
 
La DGCCRF veut imposer le lieu de distillation comme critère de revendication.
A la Fédération du Whisky de France, nous pensons que cela n’est pas suffisant pour le whisky. Nous voulons mettre le curseur au niveau du brassage.
Pour revendiquer une origine France, un whisky doit être brassé, fermenté, distillé et vieilli en France. Ce sont les 4 étapes qui confèrent ses caractéristiques essentielles et définitives au whisky. La distillation et le vieillissement ne suffisent pas.
La DGCCRF veut laisser le curseur du brassage et de la fermentation aux brasseries.
C’est idiot car pour faire du whisky, il faut commencer par faire de la bière.
Il y a beaucoup de distilleries en France à côté de la Belgique et de l’Allemagne, deux gros producteurs de bière (un whisky distillé en France avec de la bière allemande est-il français ? Non, bien sûr !)
Beaucoup de brasseries françaises se lancent ou vont se lancer dans la production de whisky.
 
LWF: Y a-t-il un projet de réglementation nationale ou d’autres IGP vont-elles voir le jour ?
 
PJ :Le futur décret va être une étape très importante pour tous les spiritueux français puisqu’il va remplacer les 7 textes qui encadrent les spiritueux en France, dont certains remontent date du début du 20e siècle !
Les trois arrêtés qui vont accompagner ce décret sont aussi importants. Outre celui sur la mention d’origine, il y aura aussi un arrêté sur les mentions de vieillissement et de compte d’âge et un troisième sur les « méthodes traditionnelles » (la formule magique pour parler des boisés).
 
L’INAO et la DGCCRF travaillent également sur un guide des bonnes pratiques pour encadrer les mentions de vieillissement sur les étiquetages. C’est aussi un texte très important pour le whisky (et pas seulement pour le whisky français) puisqu’il va définir des règles pour encadrer les affinages.
Tous ces textes sont en fin de rédaction. Nous avons beaucoup et bien travaillé entre les interprofessions, l’administration et la Fédération Française des Spiritueux.


LWF: Il y a des cas ambigus, par exemple Kaerilis. Ils ont jusqu’ici fait de l’affinage mais ils prévoient de passer à la production.
Comment distinguer un whisky français d’un autre dans ce cas de figure ? par un label ? des règles d’étiquetage ? 

PJ :C’est au prescripteur (distributeur, caviste, sommelier, journaliste) de bien faire son travail et au consommateur de faire attention).
On se plaint à longueur de temps d’être trompé mais dans les faits, personne ne lit attentivement les étiquettes où posent les bonnes questions.
On manque un peu de bon sens.
Peut-on faire du whisky à Belle-Île, une île sans eau, ni énergie en quantité suffisante ? Non, bien sûr. Et quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.
 
Aujourd’hui, il y a 90 distilleries de whisky en activité et 44 d’entre elles ont déjà commercialisé un whisky brassé, fermenté, distillé et vieilli en France.
C’est facile à vérifier : il y a des photos des installations et des dizaines de témoignages de personnes qui ont vu les installations fonctionner.
Chez les indélicats, les images ne sont pas nombreuses et sur place, si vous connaissez un peu le processus de fabrication, c’est facile de comprendre que quelque chose cloche.
 
LWF: Quelles sont les marques qui aujourd’hui ne joue pas le jeu ?

PJ : C’est difficile et compliqué de répondre.
Difficile car la Fédération n’a pas vocation à faire la police.
Nous sommes là pour construire sur des bases solides, pérennes et transparentes avec tous ceux qui s’inscrivent dans une démarche honnête et de qualité.
C’est compliqué également parce que ce n’est pas parce que ce n’est pas fait en France que ce n’est pas bon et que c’est condamnable.  Ce qu’on veut juste, c’est que cela ne soit pas trompeur pour le consommateur.
Ce que l’on constate, c’est que les choses avancent dans le bon sens. Et les indélicats d’hier ou d’aujourd’hui peuvent rentrer dans le rang. C’est ce que nous espérons et ils n’auront de toute façon pas le choix à moyen terme. C’est le sens de l’histoire.
Il y avait probablement de nombreux indélicats en Écosse dans un passé pas si lointain et puis le marché, les consommateurs ont fait la sélection. Et aujourd’hui il ne reste que ceux qui respectent les règles. Ce sera pareil en France.
Mais je le répète, c’est aux prescripteurs de jouer leur rôle de filtre et de faire très attention.
Un caviste qui vend du Guillon comme un whisky français – c’est-à-dire dans le même rayon ou sur la même étagère – est un caviste qui trompe ses clients.
Il n’y a rien de pire et c’est le meilleur moyen de perdre ses clients. Ce qui pouvait passer hier ne passera plus demain. Le client ne veut plus être pris pour un pigeon. Mais c’est aussi à lui de lire les étiquettes et de se renseigner un minimum.
 
LWF : Et inversement, celons-vous, quelles sont les distilleries françaises qui montrent l’exemple ?
 
PJ : Il suffit de visiter le site de la Fédération pour avoir une liste des sociétés, producteurs ou affineurs, qui jouent le jeu de la qualité et de la transparence.
 
 
 
Merci beaucoup Philippe pour ces précisions utiles, en espérant que cela aidera nos lecteurs à s’y retrouver dans ce secteur particulièrement dynamique qu’est celui du whisky français !
 
CEE = La Communauté économique européenne